Journal de l'année Édition 1976 1976Éd. 1976

Le calme ne régnait pas pour autant dans la majorité où, on l'a vu, les gaullistes se heurtaient de plus en plus ouvertement aux giscardiens et centristes, tandis que, entre J. Lecanuet et M. Poniatowski, ou bien entre J. Chirac et tel de ses ministres, des mots aigres-doux et des propos acerbes étaient parfois lancés. Et une certaine tension, sur laquelle on reviendra, se manifestait aussi en face, entre communistes et socialistes.

Il fallait reprendre en main la coalition majoritaire, l'organiser, la préparer au combat. Déjà, tour à tour, J. Chirac et M. Poniatowski avaient abandonné la direction de leurs partis respectifs. Déjà un membre du gouvernement, G. Péronnet, avait conquis la présidence du parti radical contre Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber. De son côté J. Lecanuet créait le CDS (Centre des démocrates sociaux) et se rapprochait des républicains indépendants, ce qui achevait d'alarmer l'UDR. Six semaines après les élections cantonales, V. Giscard d'Estaing, qui avait discerné dans les résultats de cette consultation « une insatisfaction et une inquiétude », désignait J. Chirac, confirmé dans ses fonctions de Premier ministre, comme « coordonnateur des partis de la majorité », c'est-à-dire comme chef d'état-major pour les préparatifs électoraux. On a vu que la tâche n'était pas facile, ni la mission d'emblée réussie.

Se soumettre ou se démettre

Mais les vicissitudes électorales provoquaient d'autre part une grande controverse constitutionnelle qui, de môme que l'atmosphère de campagne permanente, n'aura de fin qu'au lendemain du scrutin. Que ferait Valéry Giscard d'Estaing si, d'aventure, la gauche obtenait la majorité dans la prochaine Chambre ? Deux hypothèses : ou bien il ferait appel de la décision du pays d'abord en prononçant la dissolution de l'Assemblée afin de provoquer de nouvelles élections législatives ; et, si la gauche derechef l'emportait, il ne lui resterait plus d'autre issue que de se retirer pour provoquer cette fois une élection présidentielle. Ou bien au contraire le président de la République, se pliant à la volonté du corps électoral, nommerait un Premier ministre issu des rangs de la gauche et présiderait dès lors à la mise en œuvre par le gouvernement du programme commun. Ce sont ces deux éventualités, à l'exclusion de toute autre, que voulaient seules envisager les chefs de la gauche, Georges Marchais assurant que V. Giscard d'Estaing ne pouvait que « se démettre ou se soumettre ».

La majorité répliquait en invoquant l'article 5 de la Constitution qui dispose que le président de la République « veille au respect de la Constitution » et qui poursuit : « il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État ». Mais cette argumentation pouvait être entendue de plusieurs manières.

Poussée à l'extrême, « la continuité de l'État » était interprétée par certains comme un blanc-seing au coup de force légal, au refus de tenir compte de l'avis du pays. Au contraire, d'autres soutenaient que « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » pouvait s'accommoder d'une dichotomie entre le président et l'Assemblée. Ces controverses qui faisaient les délices des juristes n'étaient guère éclairées par les déclarations du président lui-même, qui se contentait de faire savoir qu'élu pour sept ans il entendait accomplir son mandat jusqu'à son terme ; et pas davantage par les propos de François Mitterrand, qui se bornait à répéter qu'il était du devoir du chef de l'État de demeurer à son poste jusqu'en 1981.

En attendant que les faits tranchent le débat, Valéry Giscard d'Estaing se préoccupait de faire modifier par le Congrès du Parlement un autre article de la Constitution, l'article 7, qui organise l'élection présidentielle, en élevant de 100 à 500 le nombre des signatures d'élus ou de personnalités (parlementaires, membres du Conseil économique et social, conseillers généraux et maires) nécessaires pour cautionner une candidature à ce scrutin. Et il envisageait également (mais cette réforme devait, elle, provoquer quelques remous dans les rangs de la majorité) d'élever de 10 à 15 % des suffrages exprimés le pourcentage de voix nécessaire à un candidat du premier tour pour pouvoir se maintenir sur les rangs au second. Une mesure et un projet qui allaient dans le sens d'une plus forte influence des grands partis et d'une division plus accentuée encore en deux camps.

F. Mitterrand, chef de l'opposition

Cependant, le challenger de V. Giscard d'Estaing en 1974, François Mitterrand, voyait se renforcer considérablement au fil de ces douze mois son poids et son autorité. Pour la première fois depuis trente ans, le parti socialiste se plaçait, semble-t-il, nettement en tête des formations de gauche et progressait d'un scrutin à l'autre, tandis que son allié et rival, le parti communiste, reculait ou au mieux se maintenait. Pour la première fois aussi depuis les lendemains de la guerre, le parti socialiste se développait par l'apport d'éléments venus du PSU sous la conduite de M. Rocard et J. Chapuis, par le retour de dissidents de l'ancienne SFIO, par le recrutement de nouveaux adhérents jeunes et déterminés. Pour la première fois enfin, ce parti paraissait relativement uni, même si des tiraillements se produisaient parfois entre son aile gauche, le CERES, et la majorité dans laquelle Pierre Mauroy, maire de Lille, jadis fidèle soutien de Guy Mollet, et Gaston Defferre, maire de Marseille, autrefois adversaire déterminé de la direction, encadraient F. Mitterrand.