Journal de l'année Édition 1976 1976Éd. 1976

Sécurité sociale

Les trois failles qui ébranlent l'édifice

Trente ans seulement, mais déjà la Sécurité sociale a le front barré de rides. Et c'est sans bruit que les organisations syndicales ouvrières, dont elle est l'enfant, ont fêté le trentième anniversaire de l'institution. La Sécurité sociale a été créée, en effet, par une ordonnance du 4 août 1945 et généralisée par la loi du 22 mai 1946.

Par l'ampleur des fonds brassés, la Sécurité sociale reste un colosse : 240 millions de F de prestations ont été versés aux Français en 1975, soit le cinquième du produit national. À la fin de 1976, ce total devrait s'élever à 278 millions environ. Il y a trente ans, le budget social ne représentait que 5 % à peine du revenu national.

Crise de trésorerie

Mais, agissant comme un décapant, la montée du chômage et l'accroissement des dépenses mettent à nu aujourd'hui les lacunes d'un système que les années de vaches grasses avaient permis de masquer. Le déséquilibre financier de la Sécurité sociale se creuse d'année en année : 4,5 milliards de F en 1975, 9 milliards en 1976 selon les prévisions.

Trois failles ébranlent l'édifice : le ralentissement de l'activité économique provoquant une crise de trésorerie ; la croissance stupéfiante des dépenses de santé ; le poids des charges indues, c'est-à-dire imputées à tort à la Sécurité sociale.

Ainsi, on constate que le montant total des prestations versées (maladie, vieillesse, prestations familiales, tous régimes confondus) a augmenté de 20 % pour la seule année dernière, alors que la production intérieure brute, elle, n'a crû que de 9,5 %. Le ralentissement de la croissance accentue donc l'écart entre l'évolution des recettes et celle des dépenses de la Sécurité sociale, l'année 1976 réduisant légèrement la fourchette : une certaine reprise de la production, estimée à 13 %, se conjugue à un freinage relatif des dépenses (+ 16 % par rapport à 1975).

Les recettes de la Sécurité sociale viennent en effet des cotisations dont le poids est lié à la masse des salaires de l'année en cours, donc au rythme de l'expansion. Mais, quand le nombre de salariés diminue (+ 40 % de chômage entre janvier 1975 et janvier 1976), les rentrées d'argent, en brutale décélération, ne parviennent plus à supporter des dépenses fixées souvent au niveau de l'année précédente. La Sécurité sociale, c'est comme un bateau qui disposerait d'un moteur puissant lorsqu'il est poussé par les courants et affaibli lorsqu'il doit les remonter.

Escalade des dépenses

Les dépenses représentent, en 1976, 90 milliards de F (12 milliards seulement il y a quinze ans), et ce poids de prestations versées au titre de l'assurance maladie déséquilibre l'ensemble du système de couverture sociale. Le déficit des caisses maladie des travailleurs salariés et non salariés représente à lui seul, au 1er janvier 1976, 3,5 milliards de F.

Ces chiffres traduisent l'élévation du niveau de vie des Français et leurs exigences croissantes en matière de soins. Les frais d'hospitalisation comptent pour près de la moitié dans les dépenses de cette branche d'assurance maladie. Les progrès de la médecine, de la pharmacie se manifestent aussi par le recours à des médicaments et des traitements toujours plus sophistiqués, donc plus coûteux.

La maîtrise de ces dépenses est d'autant plus difficile que les relations avec les professions de santé tendent à se crisper. Les négociations entre les caisses maladie de la Sécurité sociale et les syndicats de médecins pour la progression de leurs honoraires en 1976 sont plus délicates à la suite de la signature (sous réserves) de la convention pour la période 1976-1980 par la Confédération des syndicats médicaux français (Dr Monier), majoritaire dans la profession.

Charges indues

C'est un sujet de friction permanent entre les organisations syndicales et professionnelles qui gèrent la Sécurité sociale et les pouvoirs publics qui en ont la tutelle financière. Les premières accusent les seconds de faire supporter à la Sécurité sociale des dépenses qui devraient revenir, par le biais du budget, à la collectivité nationale.