Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

Au chapitre de l'agitation, des manifestations, des débats, on relève d'abord des démonstrations ardentes de lycéens contre la réforme de l'enseignement préparée par R. Haby. D'autre part, une effervescence endémique a régné dans certaines unités de l'armée, et à Draguignan le 10 septembre, à Karlsruhe le 13 janvier, à Perpignan le 7 février, en d'autres lieux et d'autres occasions, à la télévision même, on a vu de jeunes soldats masqués ou non manifester, revendiquer, protester. En même temps, les objecteurs de conscience posaient à l'autorité militaire comme aux tribunaux un problème de plus en plus aigu. L'agitation dans le contingent avait d'abord été attribuée à l'action de l'ultragauche ; mais le parti communiste ne tardait guère a prendre fait et cause pour les soldats, sans toutefois s'attaquer au principe même de la défense nationale ; dès lors le pouvoir accusait les communistes de provoquer et d'entretenir les manifestations.

Il ne faut pas chercher ailleurs que dans ces incidents la raison du remplacement de J. Soufflet par Yvon Bourges au poste de ministre de la Défense le 31 janvier, en même temps que le général Bigeard était nommé secrétaire d'État à la Condition militaire, choix fort discuté ; que P. Lelong, victime de la grève des postes et de quelques formules malencontreuses, était remplacé par A. Achille-Fould ; que G. Ségard, pour accroître son autorité dans les négociations commerciales internationales, était élevé au rang de ministre ; qu'enfin Y. Deniau devenait secrétaire d'État à l'Agriculture. Ce fut le seul remaniement gouvernemental de quelque ampleur, si l'on excepte la nomination, puis le renvoi, au cours de l'été 1974, de Jean-Jacques Servan-Schreiber, éphémère ministre des Réformes.

C'est parce qu'il avait protesté contre la poursuite des expériences nucléaires françaises en Polynésie que le directeur de L'Express et député de Nancy avait dû, après quelques jours seulement, quitter son poste ministériel. Le débat nucléaire se déplaçait ensuite de la bombe aux centrales, et de vives controverses s'élevaient, auxquelles prenaient part de nombreux savants, tant sur l'utilité et les dangers des centrales nucléaires que sur le secret et le silence dont s'entouraient les responsables de l'énergie sur ce sujet brûlant. Les organisations écologiques, différents mouvements gauchistes, mais aussi des associations et personnalités locales plus modérées et des éléments de la population des régions concernées relayaient de leur mieux la protestation.

Parmi les affaires qui ont rencontré un écho dans certaines couches de l'opinion, citons aussi les attentats et prises d'otages qui se sont multipliés sous les différentes formes qu'ils revêtent : opérations politiques de commandos palestiniens ou autres, explosions et plasticages d'origines diverses et heureusement sans conséquences autres que matérielles, destinés à attirer l'attention de l'opinion (sur la situation en Corse, en Bretagne, au Pays basque ; ou bien sur le sort des petits commerçants et des artisans, des viticulteurs ; ou encore par le prolongement de conflits en cours a l'étranger ; enfin pour des actes de banditisme). Les affaires de ce dernier type ont à plusieurs reprises suscité de vives polémiques sur l'action de la police, accusée d'être trop brutale, aveugle, voire raciste par certains, insuffisamment active et présente par d'autres.

La montée de la violence revêtait en même temps la forme de nombreux attentats par explosifs. L'un d'eux, en juin, provoqué par la dimension nationale prise peu à peu par le conflit des ouvriers du Livre avec la direction du Parisien libéré, entraînait la mort d'un rédacteur en chef de l'agence France-Presse, homonyme d'un collaborateur du quotidien parisien et sans doute tué à sa place par erreur. Cet attentat suscitait une vive émotion et était unanimement condamné, comme celui qui fut perpétré contre André Bergeron, secrétaire général de FO.

Ainsi s'achève la revue rapide d'une année relativement calme malgré tout pour la France. Ce fut une année où la vie publique nationale a néanmoins subi le choc en retour de l'effervescence politique et de la relève intervenue au printemps 1974. Une année aussi où le pays a également reçu, et c'est bien normal, les ondes de choc des grands événements mondiaux et en particulier de la crise pétrolière, monétaire et économique ainsi que, très atténuées celles-là, des bouleversements intervenus dans les zones d'influences respectives des grandes puissances. « L'année Giscard » sans doute, une année où la transformation de la France et des Français s'est poursuivie, accélérée peut-être. C'est à ce titre, et non au plan politique, qu'on peut parler, semble-t-il, de « l'année du changement ».