Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

En arrivant au pouvoir, Valéry Giscard d'Estaing et son gouvernement savaient bien que leurs regards devraient demeurer fixés sur quelques indicateurs économiques et sociaux essentiels, et ils avaient d'autre part des inclinations naturelles en politique extérieure. Si l'on voulait résumer schématiquement leurs préoccupations, on pourrait énumérer : les prix, la balance des comptes, le niveau d'activité économique, la monnaie, l'emploi ; et leurs principes : la construction européenne, l'alliance occidentale, l'équilibre entre l'Est et l'Ouest, la Chine. À cette liste, les circonstances ajoutaient un mot chargé de menaces : l'énergie.

Un an après, le bilan de la gestion prudente, très prudente, conduite au jour le jour selon la technique du pilotage à vue par Jean-Pierre Fourcade sous le contrôle de son prédécesseur au ministère des Finances, apparaît plutôt positif, au moins dans plusieurs domaines. Ainsi le rythme de hausse des prix intérieurs a-t-il été progressivement ralenti jusqu'à laisser espérer un taux d'inflation heureusement plus modéré en 1975 qu'en 1974. Ainsi encore les résultats de la balance des comptes et la tenue du franc peuvent-ils paraître, au milieu de 1975, quasi inespérés. Pour l'activité économique, la situation et les perspectives sont moins satisfaisantes. Elles sont carrément mauvaises pour l'emploi : 800 000 chômeurs au printemps et, selon les prévisions, près ou plus d'un million avant la fin de l'année. C'est la grande inconnue de l'équation, la clef sociale d'une politique économique prudente et plutôt sage, mais trop timide aux yeux de beaucoup, dont l'objectif est une amélioration sensible de la situation, un redressement en quelque sorte, pour le printemps 1976.

Des avantages, des concessions parfois importantes ont été octroyés à plusieurs secteurs de l'économie, l'agriculture en particulier. Le patronat, dans l'ensemble, n'a pas à se plaindre, et d'ailleurs ne se plaint guère. La fonction publique, le secteur nationalisé n'ont pas été mal traités. Et pourtant les viticulteurs du Midi, les fonctionnaires, à commencer par les postiers, les travailleurs de Renault, et, dans maintes branches, les chefs d'entreprise d'un côté, les salariés de l'autre, manifestent tour à tour, s'alarment, revendiquent.

Le pouvoir a beau multiplier les concessions et les promesses, rien n'y fait. On s'installe dans une agitation endémique, sans véritables flambées de grèves ni conjonction des manifestations et des protestations, qui demeurent sectorielles ou locales. Chaque mesure un peu audacieuse, telle que la réforme de la radiotélévision (qui passe par la suppression de l'ORTF, au 6 janvier 1975), l'institution du prélèvement conjoncturel (taxe désignée comme la sérisette par référence au nom de son inventeur, Jean Sérisé, le plus proche collaborateur du chef de l'État) ou la réforme des impositions locales, provoque des réactions assez vives et prolongées. Pour les apaiser, comme pour mieux associer les élus, le Parlement en particulier, à l'action de l'exécutif, divers moyens sont mis en œuvre : institution dans les ministères de comités d'usagers, multiplication surtout des parlementaires en mission, détachés auprès des principaux départements politiques et administratifs. Mais on ne peut s'empêcher de penser que la résistance aux grands projets de réformes à l'étude risque d'être infiniment plus vigoureuse et que ce qui a été fait n'est rien à côté de ce qui reste à faire.

Des commissions ont été constituées, des études et des rapports entrepris et parfois publiés. Pour la réforme de l'entreprise, la préparation a été confiée à Pierre Sudreau ; la réforme foncière a été mise au point par Robert Galley ; la réforme fiscale envisagée par J.-P. Fourcade tend à la taxation généralisée des plus-values. Un rapport dresse la liste non limitative mais déjà fort impressionnante des inégalités sociales. D'autres rapports, d'autres commissions, d'autres projets ont trait à la crise de l'énergie, à la crise du livre ou de la presse, à la réforme pénitentiaire, judiciaire, hospitalière, scolaire et universitaire, à la préparation d'une Charte des libertés fondamentales, d'un nouveau statut de la condition militaire... Pêle-mêle, ce sont tantôt d'ambitieuses et audacieuses transformations qui sont ainsi étudiées, tantôt des dispositions de circonstances provoquées par des incidents de parcours tels que l'agitation dans les lycées, dans l'armée, dans les prisons, parmi les commerçants, chez les viticulteurs ; et tantôt aussi le pouvoir avance, paraît déterminé, engage le fer, tantôt il fait marche arrière devant les résistances, les refus, ajourne les projets, retarde les débats, renonce à publier les décrets d'application, parfois même (pour la réforme de l'enseignement par exemple) les vide en grande partie de leur substance.