Un conflit semblable, mais portant essentiellement sur des susceptibilités réciproques, s'ouvre au printemps 1975, entre l'Orchestre national de France et son invité permanent, Sergiu Celibidache. Le grand chef roumain, secret et ombrageux, que Pierre Vozlinsky avait pu non sans peine s'attacher après de longs pourparlers, a quitté la formation dont il avait si spectaculairement relevé le niveau technique et artistique en quelques mois. Après lui, plusieurs jeunes chefs étrangers de valeur ont été essayés, mais la succession reste ouverte. L'orchestre de prestige de la Radio risque de souffrir de cette situation d'attente.

La révolte couve chez les producteurs français du disque classique. Ils veulent obtenir le statut moral et juridique d'éditeurs à part entière, avec tout ce que cela comporte de dignité retrouvée, d'allégement fiscal et de droits spécifiques. La France n'a toujours pas signé la Convention de Rome (1961) sur la défense du droit des interprètes, des éditeurs et des organismes de diffusion. Les artistes préfèrent enregistrer et être édités dans les pays signataires de cette convention pour être sûrs de toucher, notamment, 50 % des droits de radiodiffusion. En France, ils doivent attendre qu'ait été trouvée une méthode de répartition des 25 % qui leur reviennent sur l'indemnité forfaitaire versée par la seule radiotélévision d'État.

Depuis 1946, un accord faisait force de loi entre les éditeurs et la radiotélévision nationale. Celle-ci leur concédait, pour la possible diffusion de tous leurs phonogrammes, 0,22 % environ de la totalité de ses recettes, soit 5 150 000 F en 1974 – le SNEPA (Syndicat national de l'édition phonographique et audiovisuelle) constate que cette somme représente à peine 0,09 F par habitant, alors qu'elle est par exemple de 0,18 en Allemagne fédérale.

La mort de l'ORTF le 1er janvier 1975 remet tout en question : les accords sont caducs, le vide juridique total, et chaque passage de disque sur les antennes est, en quelque sorte, illicite. Quant aux postes périphériques, ils ont toujours profité de la confusion pour ne rien payer du tout, sous prétexte qu'ils représentent un puissant support publicitaire pour le disque – si puissant, d'ailleurs, que certains d'entre eux ont fondé leur propre maison de production.

Survie

C'est la disparition de l'ORTF qui a entraîné les plus graves perturbations dans la vie musicale française. Il y avait dix-sept orchestres de radio en 1934 ; il n'en restait plus que sept en 1974 ; on n'en prévoit que deux en 1976, et à Paris seulement. La loi du 7 août 1974 stipule : « la Société nationale de radiodiffusion assurera la gestion et le développement des orchestres ». Mais, en la privant du matériel et des studios des stations régionales, qui passent à la société de télévision FR3, on la met dans l'impossibilité d'accomplir cette mission. Les musiciens âgés d'au moins cinquante-cinq ans se voient offrir – et ceux de soixante imposer – une « mise en position spéciale », c'est-à-dire une retraite anticipée ; les chefs d'orchestre titulaires sont tout simplement licenciés.

Et c'est ainsi que les trois formations qui survivaient en province (Lille, Nice et Strasbourg), décapitées, décimées (moins de cinquante instrumentistes chacune), sans studio ni salle, sont restées plusieurs mois en chômage technique, en attendant que le Premier ministre débloque les trois millions et demi de francs nécessaires à leur réorganisation. Mais ces trois orchestres, qui tombent sous l'autorité du secrétaire d'État à la Culture, auront du mal à devenir de véritables orchestres régionaux, car les collectivités locales ne trouveront pas forcément les deux tiers du budget de fonctionnement que l'État leur demande d'assurer.

Et puis, quand bien même les orchestres régionaux se multiplieraient dans tout l'Hexagone, ils resteraient par définition des orchestres de répertoire général voués à la tradition, alors que les phalanges des stations de la radio peuvent encore prendre certains risques sur l'antenne, dans une relative indépendance artistique. Ainsi, pendant la saison 1973-74, les trois orchestres condamnés avaient joué cinquante-deux partitions contemporaines, dont quarante et une de compositeurs français.