Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

Ici encore, ce que l'auteur nous donne à partager, c'est une chaude tendresse pour ses personnages, et il y réussit d'autant mieux qu'il en dit moins, qu'il rejoint un classicisme de la litote. Et ne quittons pas le domaine de la nouvelle sans mettre en bonne place L'ancolie de Jean-Loup Trassard (prix des Critiques), recueil de textes d'un écrivain qui est d'un magicien de la prose et nous fait partager non la chaleur humaine des villes, mais l'amitié des campagnes et des bois. L'amitié et, parfois, l'hostilité : il y a dans ce recueil (le quatrième de l'auteur) toutes les plantes, tous les simples qui entrent dans la composition des remèdes de bonne femme et des poisons, et nous en sentons les effets à la lecture, fièvre ou bien-être. C'est encore un texte hors des contextes et des poncifs de la critique moderne par son accent de sincérité et de vérité.

Survie

Nous avons eu un nouveau roman de Jean Cayrol, Histoire de la forêt, et un nouveau roman de J.-M.-G. Le Clézio, qui reste le meilleur espoir de sa génération. Ceux-là aussi sont en marge des classifications. Leurs romans semblent souvent se répéter ; ce ne sont pas de bons romans selon les normes héritées de Balzac et de Flaubert : intrigue et personnages restent souvent diffus chez Cayrol, et une sorte d'ample discours rhétorique et poétique emporte les textes de Le Clézio. Mais chez chacun d'eux, ce qui compte, c'est la voix, la voix qui dénonce une nostalgie perpétuelle, presque métaphysique chez Cayrol, la voix qui protège contre l'oppression de l'âme par l'hypertrophie de la société industrielle chez Le Clézio. Ce sont des livres qu'il faut écouter, des voix qui se font entendre.

On pourrait, bien entendu, prendre d'autres exemples : rappeler que Troyat continue une de ses excellentes suites russes, que Jules Roy a achevé en beauté sa série des Chevaux du soleil consacrée aux rapports de la France et de l'Algérie de 1830 à nos jours, montrer l'aisance de Luc Estang dans un très gros roman historique en deux volumes, dire la ténacité ou la facilité de bien d'autres. La littérature survit ainsi dans un monde qui n'en ressent pas toujours le besoin ; elle prend la forme modeste du passe-temps chez beaucoup, et la forme d'un hors-temps pour les plus intéressants, ceux qui s'acharnent, malgré un certain terrorisme des milieux intellectuels, à favoriser le maintien et l'adaptation d'une certaine figure humaine.

Disons, pour être optimiste, que la littérature ne survivra qu'avec nous autres, hommes, et que nous autres, hommes, nous courrons peut-être un danger terrible, un danger de mutation vers le bas et d'atrophie quand la littérature viendra à disparaître, si cela doit arriver.

Poésie

Pourquoi ne pas confier à Robert Sabatier le soin d'ouvrir cette rubrique, à partir d'une monumentale Histoire de la poésie française dont les premiers volumes parus s'avèrent la véritable « invitation à la lecture » que les grands manuels n'ont jamais été et les histoires de la littérature si peu ? Plus que bien des gloses, cette longue promenade d'un lecteur, d'un lettré, qui est aussi un poète, peut faire beaucoup pour garder à la poésie ses fidèles et lui en faire naître d'autres.

Car s'il n'est pas simple de tracer dans le foisonnant passé médiéval, par exemple, des chemins clairs, il est plus malaisé encore d'en faire les itinéraires d'une découverte amoureuse, savante sans trop le paraître, attachante et tout entière dévouée à ce partage que devrait être la connaissance. Encore le partage ne sera-t-il accompli qu'après le retour du lecteur aux sources, donc aux œuvres – préoccupation qui motive une nouvelle anthologie, que Michel Cosem intitule : Découvrir la poésie française, au bénéfice des jeunes générations. Comment offrir les textes d'une poésie vivante, contemporaine, ignorée encore des ouvrages officiels pour sa plus grande part, à des élèves, voire à des étudiants, à qui on enseignait la poésie comme une langue morte ?

L'évolution du langage, le rapport différent qui s'établit peu à peu de l'enseignement à la réalité, comme l'usage de l'image, écrite ou visuelle, paraissent être des éléments favorables à un meilleur commerce poétique.