Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

Réforme de l'entreprise

Le rapport Sudreau ouvre un vaste débat

1945 : les comités d'entreprise. 1959, puis 1967 : l'intéressement des salariés aux résultats de l'entreprise. 1968 : les sections syndicales d'entreprise. 1971-1972 : la concertation et les contrats de progrès. Le général de Gaulle, Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas s'étaient longuement penchés sur la relation entre l'homme et son milieu de travail. C'est pourtant Valéry Giscard d'Estaing qui mettra en chantier, en juillet 1974, la première réflexion globale sur le sujet. En demandant à Pierre Sudreau, député-maire de Blois et ancien ministre, d'animer un Comité d'études pour la réforme de l'entreprise, il donnera le coup d'envoi d'un vaste débat national.

Changer l'entreprise

Pourquoi un tel sujet ? Parce que l'entreprise est à la fois au cœur de la croissance économique et au centre de la vie quotidienne des 22 millions de Français actifs qui font vivre l'ensemble de la population. Du fait de cette double appartenance, elle est à la fois l'expression d'une certaine vision de la société et le lieu géométrique de conflits individuels et collectifs qui dépassent largement sa fonction et son cadre propres.

Donc, dans l'esprit du président de la République, changer la société comme il se propose de le faire, c'est modifier entre autres ce rouage fondamental que représente l'entreprise.

L'idée n'était pas nouvelle. Dès 1962, François Bloch-Lainé, haut fonctionnaire et humaniste chrétien consacre à ce sujet un livre dans lequel il tente de définir une certaine « démocratie économique » reposant notamment sur la reconnaissance du fait syndical à un moment où la représentativité des syndicats est largement contestée. À leur tour la plupart des syndicats font des propositions au cours des années récentes.

Syndicats

Fidèles à une stratégie globaliste, la CGT et la CFDT affirment qu'on ne peut pas changer l'entreprise sans changer la société. La première s'est (logiquement du fait de ses attaches avec le parti communiste) montrée favorable à la nationalisation des moyens de production tandis qu'en 1970 la deuxième jette les bases du socialisme autogestionnaire et s'y tient.

Les autres centrales syndicales (FO, CFTC, CGC) n'ont jamais pris des positions aussi radicales, dans la mesure où leur stratégie réformiste suppose l'acceptation implicite de certaines règles de la société libérale comme la propriété privée des moyens de production ou l'unicité du pouvoir de décision. Ainsi, au cours de son congrès de 1973, la CFTC insiste-t-elle surtout sur un renforcement de la participation des travailleurs, d'une part, aux résultats de l'entreprise, et, d'autre part, au contrôle et à l'orientation de sa gestion. La CGC (Livre blanc de la fédération de la métallurgie, publié en mars 1974) propose, pour sa part, des « commissions de concertation » ouvertes aux cadres, la représentation des salariés aux conseils d'administration et un mécanisme de sanctions à appliquer aux dirigeants défaillants.

Patronat

Face aux propositions des syndicats, le CNPF et la Confédération générale des PME ont toujours observé un mutisme volontaire, dans la mesure où toute réforme de l'entreprise risquait, bien évidemment, d'aller à rencontre des intérêts de leurs mandants. Cela dit avec courage et, dans certains cas, non sans naïveté, des voix s'élèvent dans les associations patronales. En avril 1974, le patronat chrétien propose d'élargir les pouvoirs du comité d'entreprise, de favoriser la constitution de « groupements de personnes » (par analogie avec les groupements de capitaux) et de créer une juridiction économique digne de ce nom, les tribunaux de commerce et les conseils de prud'hommes actuels semblant peu outillés pour résoudre les litiges nés d'une économie moderne de plus en plus complexe.

L'avant-garde du grand patronat que représente Entreprise et Progrès, dans l'intention de « réconcilier l'entreprise avec l'opinion publique et les salariés », lâche ses conclusions en janvier 1975 : étendre la responsabilité individuelle et associer plus directement le salarié à son travail ; lui reconnaître le droit à l'information ; séparer la fonction de contrôle (le président) de la fonction de gestion (le directeur général) ; créer une structure de participation aux décisions ouverte à tous les salariés (et non aux seuls candidats des centrales syndicales).