Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

C'est, toutefois, le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD) qui va le plus loin dans son livre L'autorité de l'entreprise, sorti à la mi-1974. Pour le CJD, la propriété n'engendre plus le pouvoir, celui-ci appartenant au groupe d'hommes qui composent l'entreprise. D'où une forme d'autogestion, le personnel élisant un conseil d'entreprise qui, après accord sur un contrat de programme, choisit et contrôle un leader. Aux actionnaires, on laisse les droits traditionnels attachés à la propriété (cession, libre disposition des biens) et on accorde un revenu indexé. Le CJD précise, malgré tout, qu'il s'agit d'une réflexion à l'horizon 1985.

Propositions

Or nous sommes en 1975, et c'est le 7 février que P. Sudreau remet au président de la République et au Premier ministre le résultat des travaux de sa commission. Des travaux menés d'ailleurs tambour battant. En quatre mois, douze groupes de travail ont entendu les syndicats, les groupements patronaux et un échantillon de 200 personnalités (professeurs, hauts fonctionnaires, patrons, journalistes), qui, chacun, comme c'est toujours le cas en France, ont leur petite idée sur le sujet.

Le résultat ? Un document volontairement schématique d'environ 250 pages, qui évite le grand écueil cartésien (et technocratique) : apporter la solution définitive au problème. Comme l'indique Pierre Sudreau dans sa présentation, « il ne s'agissait pas de présenter une réforme de l'entreprise [...], mais un vaste ensemble de propositions ». Des réformes pour l'entreprise, en somme. Sur ce terrain, le Comité n'a pas chômé : ses soixante-dix propositions concernent les conditions de travail, la place de l'homme dans l'entreprise, la politique contractuelle, la participation aux décisions, l'aménagement des successions, le sort des actionnaires minoritaires, la création d'entreprises. Bref, les auteurs du rapport tiennent à se prononcer sur l'ensemble des questions qui touchent à la vie de l'entreprise.

Comme le Comité rassemble des hommes aussi idéologiquement opposés que Pierre Jouven (P-DG de Pechiney-Ugine-Kuhlmann) et Albert Detraz (CFDT), il lui faut à la fois se garder à droite et se garder à gauche, c'est-à-dire faire des propositions qui puissent être acceptées par les uns et les autres. On rejette donc la cogestion à l'allemande qui ne satisfait personne : les patrons y voient une amputation inadmissible de leur pouvoir de décision et les syndicats une compromission inacceptable avec les détenteurs du capital.

On renonce au souhait patronal de modifier le mode actuel d'élection des représentants du comité d'entreprise, mode de désignation éminemment favorable aux syndicats dits représentatifs, puisqu'ils disposent du monopole de la désignation des candidats au premier tour des élections. En revanche, les propositions de la CFDT tendant à renforcer les moyens matériels des représentants syndicaux ne sont pas retenues. A fortiori, pas davantage, que l'autogestion, fût-elle à la manière de la CFDT ou du CJD. Non, le rapport Sudreau annonce clairement la couleur : il s'agit pour lui de fournir un catalogue de propositions, adaptables, selon les cas, aux diverses formes d'entreprises existantes (groupes, PME, etc.) et fonctionnant dans le cadre de l'économie de marché actuelle.

Enfin, et par le fait même, les auteurs du rapport font inévitablement une profession de foi : à savoir que si l'entreprise, communauté humaine, est forcément un lieu de tensions et de conflits, la négociation doit permettre, comme dans les villes ou les villages, de dépasser ces affrontements.

Conclusions

Les principales conclusions peuvent être classées sous quatre rubriques : la vie quotidienne dans l'entreprise ; la participation aux décisions ; le droit des sociétés ; le règlement des conflits.

La vie quotidienne

Sur ce point, le rapport Sudreau livre une liste abondante de propositions assez aisément acceptables par l'ensemble des partenaires sociaux (patrons, salariés, syndicats, État). Il s'agit, notamment, d'établir chaque année à travers une batterie d'indicateurs représentatifs, un bilan social de l'entreprise. Il s'agit, par ailleurs, d'aménager le rythme et les conditions de travail (revalorisation du travail manuel, réduction des tâches pénibles à l'approche de la retraite, renforcement de la médecine et de l'inspection du travail, réduction du travail posté). Il s'agit enfin (et surtout) d'intéresser davantage chaque salarié au travail qu'il accomplit. D'où l'idée de « déconcentrer la prise de décision au niveau le plus proche de son exécution » (on en est loin), mais surtout, ce qui semble plus facile, celle de « reconnaître à chaque salarié une faculté d'expression sur le contenu de son travail ».