Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

On comprend mieux, dans ces conditions, que le président de la République ait entamé le changement par le plus facile, par ce qui dérange le moins. Il apparaît vite qu'il entend rendre de la souplesse à l'exercice du pouvoir, de la simplicité aussi, restaurer une fluidité que la raideur et l'intransigeance gaulliennes avaient retiré à la vie publique nationale. On n'agite pas les mots sonores d'indépendance et de grandeur, on n'enchaîne pas l'histoire, on n'affirme pas constamment une rigueur et une hauteur souveraines sans gouverner de loin et de haut. V. Giscard d'Estaing veut gouverner de près et se déclare plus préoccupé des Français d'aujourd'hui que de la France éternelle.

Quatre objectifs fondamentaux

En maintes occasions, il met donc l'accent par priorité, comme il l'avait fait d'ailleurs dès sa campagne présidentielle d'avril-mai 1974, sur le sort des plus défavorisés, des oubliés du progrès, de ceux-là même qu'un de ses ministres, René Lenoir, avait appelés un jour dans un ouvrage qui fit quelque bruit les exclus. Il cherche, par des gestes spectaculaires, à attirer l'attention sur ces diverses catégories sociales en même temps qu'il engage des transformations de la législation et des habitudes visant des couches entières de la société. Enfin, il s'efforce de rajeunir et d'adapter divers usages, dispositions ou traditions, fût-ce au risque de choquer.

Les principes de ces objectifs fondamentaux de son action, il les a résumés à plusieurs reprises en quatre points, qui sont : « le développement de la responsabilité et de la participation ; le renforcement de la solidarité sociale et la réduction des inégalités ; la poursuite de la modernisation économique ; l'amélioration de la qualité de la vie ».

Les jeunes

Coupant court aux tergiversations et aux controverses qui durent depuis bientôt six ans (depuis 1968), l'un des premiers actes du nouveau pouvoir consiste à abaisser à dix-huit ans la majorité civile et électorale. Cette mesure, ratifiée dès le 5 juillet 1974 par le Parlement, entraîne d'amples conséquences et toute une révision des codes en ce qui concerne l'émancipation, la nationalité, la procédure pénale, l'enfance délinquante, la responsabilité parentale, l'exercice des professions commerciales, la justice militaire, etc. Par la suite, des dispositions d'ordre social, notamment pour l'indemnisation des jeunes chômeurs ou par la création d'allocations pour les jeunes travailleurs à la recherche d'un premier emploi ainsi qu'une extension de la formation professionnelle, viennent poursuivre cette action.

Les femmes

La création d'un secrétariat d'État à la Condition féminine, confié à Françoise Giroud, débouche sur des engagements et des débuts de réalisation tendant à une égalisation progressive des conditions de travail, dans la fonction publique d'abord, des droits et des responsabilités civiques et professionnelles, des salaires (c'est le plus difficile et ce sera le plus lent), bref à un effort de promotion de la femme dans la société française qui revêt néanmoins la forme de gestes plus symboliques que réellement importants.

Les personnes âgées

L'élévation des retraites, plus vite acquise qu'il n'avait été promis pendant la campagne présidentielle, va de pair avec des retouches apportées aux dispositions en vigueur pour améliorer la situation des vieux. En venant, le 1er janvier, déjeuner avec les pensionnaires d'une grande maison de retraite de la banlieue parisienne, V. Giscard d'Estaing tient à marquer sa sollicitude pour les vieillards.

Les exclus

Le président de la République n'hésite pas à visiter des prisons et à s'entretenir avec les détenus, à parcourir un bidonville de Marseille où vivent des travailleurs immigrés, à inspecter plusieurs hôpitaux et maisons pour handicapés, à recevoir à sa table pour le petit déjeuner, la veille de Noël, les éboueurs du quartier de l'Élysée. Il prélude ainsi à la mise en route d'une réforme pénitentiaire, d'un statut des immigrés, d'une réorganisation hospitalière et d'aménagements des dispositions intéressant les handicapés. Surtout, il veut frapper l'opinion, l'amener à réfléchir.

Les mœurs

À Simone Veil, ministre de la Santé, revient la mission délicate d'élaborer et de faire voter la loi du 17 janvier 1975 autorisant l'interruption volontaire de la grossesse. L'avortement, objet de débats passionnés et de prises de position virulentes dans l'un et l'autre sens, est ainsi admis sous conditions et la loi de 1920, qui le réprimait, suspendue. Divers mouvements féminins qui militent depuis longtemps pour cette mesure réclament qu'on aille plus loin encore, jusqu'à la gratuité et au remboursement par la Sécurité sociale, tandis que des associations de médecins, des organisations familiales, l'épiscopat s'insurgent et protestent. Les députés se divisent, et la gauche prend le relais de la majorité qui est en partie défaillante.