Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

Un peu partout, des rabais plus ou moins occultes (mais tout de même de faible ampleur) ont été consentis aux acheteurs. Mais il est déjà étonnant que la crise n'ait pas entraîné sur le prix du pétrole une baisse comparable à celle qui s'est produite sur les autres matières premières. Il ne faut pas chercher ailleurs l'enfantement difficile de la conférence entre pays producteurs et pays consommateurs proposée par la France. La rencontre préparatoire d'avril 1975 fut un échec parce que les producteurs (notamment l'Algérie) n'ont pas voulu négocier en position de faiblesse. Ils préfèrent attendre le retournement de la conjoncture mondiale, qui leur permettra de parler plus fort.

La hausse du pétrole a joué elle-même un rôle non négligeable dans la genèse de la crise économique. Pour l'ensemble des pays occidentaux, cette hausse peut s'analyser comme une sorte de prélèvement fiscal de l'ordre de 65 milliards de dollars, variable selon les pays en fonction de leur dépendance à l'égard des approvisionnements de pétrole à l'extérieur. Ce prélèvement représente environ 1,3 % du revenu national aux États-Unis, près de 3 % en France et 4 % en Italie.

Récession

Or, les pays bénéficiaires de cette manne n'étaient pas assez développés pour se porter acquéreurs de marchandises, pour un montant équivalent, dans les pays industrialisés. Certes, les pays de l'OPEP ont accru de près de moitié leurs importations en 1974, mais cela représente encore peu de chose dans l'ensemble du commerce mondial. Leur part dans celui-ci n'est que de 10 % après le boom de leurs achats. Alors que les pays industrialisés font, à eux seuls, près de 70 % du commerce mondial. Toute crise qui affecte les anciens riches ne peut donc être compensée par une forte expansion chez les nouveaux riches du golfe Persique.

Si bien que la croissance du commerce mondial s'est fortement ralentie : après une augmentation record de 15 % en 1973, son rythme est tombé à 5 % en 1974, et l'on s'attendait pour 1975 à une croissance nulle ou très faible.

Après l'inflation, la crise pétrolière a donc été la deuxième cause de la chute brutale de la production dans les pays industrialisés au deuxième semestre de 1974 et au premier semestre de 1975. On ne voit trop souvent dans cette crise pétrolière qu'un facteur supplémentaire de hausse des prix. C'est vrai, mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel est son effet sur la production elle-même des pays consommateurs de pétrole qui ne peuvent pas payer ce surplus sans réduire leur propre train de vie et qui ne trouvent pas, dans les pays ainsi enrichis, l'équivalent des débouchés qu'ils perdent chez eux, à cause de cette diminution du train de vie national. Au total, la crise du pétrole est plus dangereuse par ses incidences sur le chômage que par ses conséquences sur les prix.

Seulement, les pays producteurs de pétrole eux-mêmes supportent les conséquences de cette récession généralisée. Et l'on comprend pourquoi leurs dirigeants disent à qui veut les entendre qu'ils ne souhaitent pas l'effondrement des pays capitalistes. D'autant que le retournement de la conjoncture pétrolière n'a pas empêché la hausse des prix de se poursuivre dans les pays industrialisés, qui ont vendu au prix fort les machines et autres équipements que les pays pétroliers leur ont achetés. Simultanément, la baisse du dollar a pesé sur les recettes des pays pétroliers puisque l'or noir est payé avec cette monnaie. À partir du printemps 1975, les Arabes, les Perses et le Venezuela recommencent à parler d'échelle mobile alors qu'ils avaient décidé, fin 1974, de geler les prix du pétrole jusqu'en septembre 1975. Le chah d'Iran évalue à 30 % la perte du pouvoir d'achat résultant de la chute du dollar, combinée avec la hausse des prix dans les pays occidentaux. Pour enrayer le mouvement, l'OPEP décide à la conférence de Libreville (Gabon), en mai 1975, d'abandonner le dollar comme monnaie de référence pour calculer le prix du pétrole.

La crise pétrolière se rattache ainsi à la crise monétaire, qui constitue la troisième cause de l'effondrement de la production dans les pays capitalistes (c'est d'ailleurs le seul point commun avec la crise des années 30).

Chute du dollar

Cette crise monétaire n'est pas une nouveauté. Elle dure depuis 1968 et a pris une très grande ampleur depuis la dévaluation du dollar en 1971. En 1973, elle s'est encore aggravée avec la décision des Américains de laisser flotter le dollar, qui n'a donc plus de prix fixe alors qu'il continue d'être, en fait, le centre de tout le système monétaire. En 1974, toutes les monnaies se sont mises à flotter les unes par rapport aux autres, provoquant des oscillations invraisemblables dans les cours. C'est ainsi que l'on a vu le dollar tomber au-dessous de 4 francs en juillet 1973, puis remonter au-dessus de 5 francs au début de 1974, pour retomber au-dessous de 4 francs, le 22 mai 1975. Même chose pour la livre sterling, qui est passée, en un an, de plus de 11 francs à 9 francs. Comment veut-on que le commerce international se développe normalement avec des monnaies qui gagnent, ou perdent, 25 % de leur valeur en quelques mois ?