L'ouvrage-dalle se présente comme un sol artificiel fait d'une gigantesque dalle de béton (elle s'étend sur plus de 12 ha), à deux étages au-dessus du niveau du sol, entièrement destinée à la circulation des piétons ; un hectare et demi est réservé aux espaces verts, en forme de bacs de dimensions variables, disséminés dans les aires de promenade. Une solution fort ingénieuse a été adoptée pour la constitution de ces bacs, sorte de pyramide inversée dont la pointe repose sur un pilier qui s'enfonce dans la profondeur des parkings en sous-sol : l'espace est chose trop rare et trop chère à Paris pour qu'il convienne d'en abuser.

La SEMEA XV (Société d'économie mixte d'équipement et d'aménagement du XVe arrondissement), dont le conseil d'administration se compose de six conseillers de Paris, et auprès de laquelle le préfet de Paris remplit les fonctions de commissaire du gouvernement, a été chargée de la réalisation de ce fameux ouvrage-dalle, se faisant par là même la cible de choix de tous les détracteurs du projet.

« Nous avons adopté, devaient dire les architectes en chef du secteur, Lopez, Pottier et Proux, ce parti pris systématique de constructions hautes et ponctuelles, laissant entre elles de larges espaces complétés par un réseau de constructions basses de deux à trois niveaux implantés au-dessus d'un système de dalles dénommé ouvrage-dalle. »

Futuriste

Ces tours dégagent le maximum d'espace au sol et évitent l'impression d'écrasement que l'on ressent au pied de toute construction d'importance. Mais leur ligne à la taille affinée n'est pas sans élégance. Et on s'étonne de découvrir, entre la tour de Mars et la tour de Seine, une tour Eiffel que le Front de Seine ramène à des proportions presque modestes.

Seize tours, aux noms prestigieux dont : tour de Mars, tour de Seine, tour Évasion 2000, l'Avant-Seine, le Lutécien, Rive-Gauche, Panorama, Perspective I, Perspective 2, Espace 2000, entre lesquelles s'imbriquent ces immeubles bas à 2 ou 3 niveaux, un HLM et de fort élégants immeubles de bureaux comme le Mercure, dont la pyramide aztèque aux vitres de verre fumé se dresse aux pieds de la tour de Mars, ou le Mirabeau, miroir à mille facettes dont le gigantesque Y termine en aval le Front de Seine.

Le tout séparé en îlots aux noms de constellations : îlot Véga, îlot Orion. En somme, une architecture aux ambitions interstellaires.

Une telle opération de prestige se devait d'attirer une clientèle choisie, qui déjà s'installe dans les parties achevées du programme comme les tours de Seine et de Mars de l'îlot Véga, occupé maintenant en quasi-totalité.

Un nouveau quartier est en train de naître, dans un monde aérien et futuriste d'où la circulation automobile sera apparemment bannie, un nouveau quartier résidentiel (mais aussi d'affaires), avec sa piscine, son terrain de sport, sa bibliothèque et sa chapelle, un nouveau quartier que l'hôtel de 600 à 700 chambres de la Japan Air Line nous promet cosmopolite et à qui les 15 000 m2 qui seront réservés aux espaces commerciaux devraient, sans doute, assurer une vie intense.

En 1973, comme les années précédentes, les architectes ont vécu dans l'espoir, l'espoir d'une loi qui réformerait leur profession. Artiste désemparé dans un monde de la construction en constante évolution, l'architecte voit chaque année sa part de responsabilités augmenter tandis que proportionnellement sa part d'activités se restreint. Désormais, 75 % de la construction lui échappent, c'est-à-dire qu'un bâtiment sur quatre seulement est réalisé par ses soins. L'architecte traditionnel, homme seul travaillant pour un seul homme sur une œuvre isolée, est mort, mais il n'a pas trouvé de successeur. L'Assemblée, le Sénat, les ministres des Affaires culturelles se relaient à son chevet (Malraux, Michelet, Duhamel, Druon), mais les habitudes, les routines, l'establishment grippent (depuis le 1er janvier 1940) l'exercice efficace de la profession.

« Loger l'innombrable », comme le souhaite Émile Aillaud, comme le rêvent des milliers d'étudiants en architecture, demeure donc, pour quelques années encore, une formule.