Il fait donc toute l'année la sourde oreille aux demandes répétées du GRP à ce sujet ; la conférence consultative de La Celle-Saint-Cloud, où se retrouvent des représentants des deux parties, est suspendue plusieurs fois. Pour le président sud-vietnamien, il n'y a qu'un seul gouvernement représentatif : le sien.

Mais plus encore peut-être qu'à l'égard du GRP (dont il ne peut ignorer la réalité), c'est contre la troisième force qu'il manifeste son hostilité. Composée d'intellectuels, de fonctionnaires, d'hommes d'affaires opposés au régime de Saigon sans pour autan être passés dans le camp des révolutionnaires, cette troisième force est la bête noire du chef de l'État. La plupart de ses représentants sont maintenus en prison ou dans des camps (il y aurait 200 000 prisonniers au Sud Viêt-nam), quand ils n'ont pas pris le chemin de l'exil.

En réalité, Thieu mesure parfaitement que, s'il reconnaissait cette force et lui donnait la place qui lui est due dans un processus de réconciliation, son propre pouvoir serait aussitôt battu en brèche. Il mettrait le doigt dans l'engrenage du Conseil national et il ne serait plus dès lors qu'un des éléments de cette autorité tripartite.

Cela explique qu'il ait fait modifier la Constitution en sa faveur afin de pouvoir briguer un nouveau mandat. L'important pour lui est de gagner du temps, en espérant que le GRP finira par céder.

Corruption

Reste à savoir si le chef de l'État peut tenir longtemps. Car si sa volonté politique, pour ne pas dire son entêtement, ne fait pas de doute, jamais la situation économique du pays n'a été aussi fragile que durant 1974, et elle ne peut, dans le contexte actuel, que s'aggraver. Pendant six ans la guerre avait, d'une certaine manière, enrichi le Sud Viêt-nam, provoquant une prospérité factice.

En 1970, les Américains avaient dépensé sur place près de 500 millions de dollars et, directement ou non, faisaient vivre un million de personnes. Les quelque 10 000 Américains qui restent en 1974, comme conseillers dépenseront environ 80 millions de dollars, et l'aide de Washington est loin de combler le manque.

Une inflation galopante (les prix ont augmenté de 65 % en 1973 et il en sera de même en 1974), les dévaluations en série, le chômage (usines fermées, faillites) ont plongé la masse dans la pauvreté et la misère. La corruption et la concussion ont été érigées en système.

Le général Thieu ne pourrait renverser cette situation que par une reconversion complète de l'économie et d'abord en rendant à la production une bonne partie de son armée (un million de soldats sur 20 millions d'habitants), mais précisément il ne veut pas ou ne peut pas démobiliser.

L'armée et la police constituent les seules forces politiques et administratives du pays (les chefs de province sont tous des militaires). Conséquence de cette contradiction : une société désorientée, désarticulée, dont certains secteurs commenceraient à prêter l'oreille aux arguments du Front.

Légitimité

Le GRP compte en effet, pour l'emporter, sur la détérioration et la dégradation du régime de Thieu. Les accords de Paris lui ayant donné la légitimité, c'est au grand jour que le Front organise les zones qu'il contrôle avec son administration, ses écoles, ses unités de production.

Pour lui, le passage de la clandestinité à la légalité, de la guerre à outrance à une guerre de position constitue un progrès et, depuis des années, l'austérité est son pain quotidien. Autant de raisons donc pour dénoncer le régime de Saigon et ses abus, et souligner les difficultés qu'il rencontre. Les titres de la presse viêt-cong sont, à ce sujet, significatifs : « La famine sévit dans les zones contrôlées par Saigon » ; « La guerre du riz » ; « Impôts et taxes dans les zones contrôlées par Saigon ».

Le GRP s'est installé dans une paix vigilante, une paix armée, se proclamant « l'unique représentant des forces montantes dans le sens de l'essor de la société » ; il se considère comme un gouvernement légal, apte à signer des accords et à recevoir des hommes d'État (Fidel Castro, par exemple), à échanger des ambassadeurs.