Mais Henry Kissinger obtient ce qu'il cherche, à savoir isoler la France et rallier le reste de l'Europe aux vues américaines. « Nous constatons, hélas, que les Européens ne bougent guère », déclare le président Boumediene, dont le pays est un des animateurs du camp arabe. « S'ils devaient persister dans leur immobilisme, il y aurait fort à craindre que les Américains aient le dernier mot en Orient. »

Le 6 mars, le troisième gouvernement Pierre Messmer fait connaître à son tour son plan pour maîtriser en France la crise de l'énergie. L'objectif annoncé est de stabiliser en 1974 la consommation au niveau de 1973, et, par la suite, d'admettre une croissance de 3 % par an au lieu de 5 % ; en outre, d'économiser au maximum l'énergie « pour atténuer le déficit de la balance des paiements sans nuire au niveau de l'activité économique et, partant, de l'emploi ».

En fait, les incitations (non coercitives) aux économies jouent sur ce plan un rôle bien moins important que la décision de se lancer à fond dans l'énergie atomique, en programmant pour avant 1980 la construction de 40 à 50 centrales nucléaires.

Embargo

À mesure que le temps passe, cependant, il devient évident que l'embargo, qui a tant effrayé les Européens en novembre et décembre, n'a été appliqué que de façon très lâche par les producteurs. En fait, après les quarante-cinq jours de battement, on peut constater que les cargos continuent d'arriver dans les ports à un rythme satisfaisant pratiquement les besoins, au point que la plupart des mesures de restriction, même aux Pays-Bas, pays le plus visé, sont bientôt abandonnées ou tombent en désuétude.

Le tournant devient évident le 18 mars, lorsque l'Organisation des pays exportateurs annonce officiellement la levée de l'embargo sur les livraisons destinées aux États-Unis.

Bien plus, des indices parallèles de détente sont enregistrés simultanément dans les deux domaines économiques de l'affrontement, à savoir le niveau de la production et les prix.

C'est ainsi que le ministre du Pétrole de l'Arabie Saoudite, Zakir Yamani (pourtant le premier partisan de « garder le pétrole en terre »), affirme qu'il est prêt désormais à rouvrir les vannes et à assurer aux États-Unis « tout le pétrole dont ils auront besoin ».

Revirement justifié sans doute par l'évolution favorable des pourparlers de paix entre Israël et l'Égypte, mais néanmoins fondamental, puisque c'est principalement sur les fabuleuses réserves de l'Arabie que l'Occident peut compter pour couvrir ses besoins (n'était-il pas question, juste avant la crise, de porter sa production de 300 millions à 1 milliard de tonnes en 1980 ?).

Détente

Au sujet des prix, les représentants saoudiens renversent également la vapeur en proposant à leurs partenaires arabes de procéder à une baisse. Ils ne sont pas suivis sur ce point, mais la conférence décide cependant de geler les prix affichés jusqu'au 1er juillet 1974, décision qui, le 18 juin, sera prorogée jusqu'au 1er octobre par la conférence de Quito. Sur le marché, c'est toujours le désordre, mais, avec le retour espéré de l'abondance, la tendance des prix réels cesse également d'être à la hausse.

Déjà, la sorte de marché noir du pétrole mis aux enchères a disparu. Et les économistes les plus avertis croient désormais très possible une détente au niveau des prix réels avant la fin de 1974.

Ainsi, en six mois, d'octobre 1973 à avril 1974, la crise pétrolière aura bouclé le cycle à peu près complet de l'épreuve de force économique. Certes, des questions essentielles restent encore sans réponse : les pays producteurs pourront-ils maintenir debout leur cartel, ou ce qui en reste ?

La paix s'établira-t-elle définitivement au Moyen-Orient, ou connaîtrons-nous de nouveaux épisodes d'affrontement militaire et de chantage pétrolier ? Les pays consommateurs soutiendront-ils leur effort d'indépendance énergétique ? Le monde pétrolier restera-t-il organisé selon le modèle triangulaire (États-Unis-Arabes-Europe) d'avant la crise, ou des liens directs s'établiront-ils entre producteurs et consommateurs ? C'est dire que de nouvelles crises ne sont pas du tout impossibles.