L'intervention, le 22 octobre, du cessez-le-feu au Moyen-Orient, et même l'ouverture des premiers pourparlers d'armistice à Genève le 21 décembre, ne peuvent être considérées par les pays arabes comme satisfaisant aux exigences formulées à Koweït. Ils sont résolus à renforcer leur pression. Réunis le 23 décembre 1973 à Téhéran, ils décident de relever de nouveau, et plus brutalement encore, les prix du pétrole. Pratiquement, le prix affiché fixé deux mois auparavant se trouve doublé. Le rattachement du prix affiché au prix de marché est abandonné. Enfin, les prix sont déclarés révisables tous les trois mois.

Téhéran

En dépit de sa brutalité, la décision de Téhéran marque pourtant un premier infléchissement dans l'offensive des pays producteurs. D'une part, ils ne parlent plus désormais que de hausse des prix, non de resserrement de l'embargo : l'arme économique prend le pas sur l'arme politique. La liste des pays amis est élargie, les restrictions assouplies pour d'autres. D'autre part, ils prennent soin de souligner que, compte tenu des conditions générales du marché, le nouveau prix reste somme toute modéré (ce qui n'est pas niable), et proposent aux pays consommateurs l'ouverture de négociations « afin d'éviter de rentrer dans une augmentation en spirale des prix et de protéger la valeur de leur pétrole ». Bref, les producteurs quittent le terrain de la lutte brutale pour entrer (certes, avec toute leur puissance retrouvée) dans celui de l'économie marchande. On peut voir là le résultat de l'influence du chah (« l'économiste au pouvoir », comme on l'a dit) et de ses conseillers, désireux de faire montre de leur sens des responsabilités internationales, d'éviter l'esprit de croisade, eux qui sont musulmans mais non arabes, et aussi de ne pas pousser l'avantage des producteurs de pétrole au-delà du point où les énergies concurrentes pourraient retrouver sur leur produit un avantage décisif.

L'année 1974 s'ouvre ainsi dans une atmosphère sans doute toujours incertaine, mais où du moins on commence à raisonner et à calculer plus froidement. Les pays occidentaux font les comptes de ce que l'opération va leur coûter (50 milliards de dollars, estime l'OCDE), mesurent les trous béants qui vont s'ouvrir dans leurs balances des paiements, préparent leurs offensives en vue de se procurer davantage de devises sur les marchés extérieurs, et procèdent au rajustement des prix de vente intérieurs des produits pétroliers (le 11 janvier, en France).

Genève

Politiquement aussi, le jeu s'éclaircit. Les pays de la Communauté européenne, y compris les Pays-Bas, ont adopté tout d'abord une attitude très conciliante envers les Arabes, rappelant notamment, le 6 novembre, « leur attachement à la résolution 242 des Nations unies, demandant l'évacuation des territoires occupés par Israël ». Bientôt, le Japon leur emboîte le pas. Pour les États-Unis, il y a là un danger. En simplifiant à peine, on peut dire que le pétrole est un produit que des compagnies américaines achètent aux Arabes pour le vendre aux Européens ; si, comme la France notamment y paraît encline, consommateurs et producteurs s'entendent directement en court-circuitant les compagnies, il en résultera pour les États-Unis une perte d'influence certaine.

Aussi, dès le 12 décembre, le secrétaire d'État Henry Kissinger a-t-il proposé la constitution d'un « groupe d'action » regroupant les pays consommateurs... sous la houlette américaine, bien entendu. Le premier accueil des Européens est tiède, mais le 9 janvier le président Nixon lui-même revient à la charge et convoque, presque impérativement, un certain nombre de pays d'Europe à Washington pour le 11 février.

Le même jour cependant (9 janvier) se termine à Genève une nouvelle réunion des pays producteurs, au cours de laquelle il apparaît nettement que ceux-ci commencent à n'être plus d'accord sur la conduite à tenir. Les décisions prises sont d'ordre technique : les prix du brut ne seront pas abaissés avant le 1er avril (alors qu'ils devraient l'être, le cours du dollar ayant remonté, en application de l'accord d'indexation pétrole-dollar de juin 1973) ; il est officiellement confirmé que le rapport fixe entre le prix réel et le prix affiché est abandonné (ce qui permet de relever le prix réel). Certes, elles continuent d'aller dans le sens de la hausse et achèvent de détruire le système de prix en vigueur avant la guerre. Mais elles confirment aussi que l'on est revenu sur le terrain des gros sous. Surtout, on apprend que de nettes divergences sont apparues entre les partisans de la continuation de l'épreuve de force commerciale avec l'Occident et ceux qui, voyant le marché de plus en plus désorganisé, craignent que leurs clients n'accélèrent leur conversion énergétique et n'apprennent, en peu d'années, à se passer de leur pétrole. En fait, cette réunion du 7 au 9 janvier marque le sommet de l'offensive arabe.

Washington

La réunion des pays consommateurs à Washington est l'occasion pour la diplomatie française de démontrer, en refusant de souscrire un certain nombre de paragraphes du communiqué, qu'elle se démarque ouvertement de la politique énergétique préconisée par les Américains. À vrai dire, cette réunion n'aboutit pas à des décisions importantes : on convient seulement d'établir un « groupe de coordination » chargé d'élaborer un « programme d'action ».