Peron se présente par « sacrifice », affirme-t-il, comme le « grand rassembleur », proclamant que son mouvement est de gauche, mais « ni communiste ni anarchiste ». Ses trois concurrents sont : Ricardo Balbin, président de l'Union civique radicale (UCR), avec comme vice-président éventuel un espoir du parti, le sénateur Fernando de La Rua, 36 ans ; l'ancien ministre (déjà candidat en mars) Francisco Manrique pour l'Alliance populaire fédéraliste ; enfin Juan Carlos Coral, le candidat socialiste marxiste. En se portant candidat, Peron a fait en sorte que le congrès du parti justicialiste impose sa troisième épouse comme vice-présidente : Isabelita Peron a 42 ans ; elle est ancienne danseuse de ballet folklorique et pratiquement inconnue. Elle apparaît néanmoins à la première place dans les derniers jours de juin. Peron, gravement malade, est hospitalisé le 28, et de ce jour Isabelita assure l'intérim de la présidence de la République. Peron avait exercé le pouvoir durant neuf mois ; quel bilan pouvait-on dresser ?

Répression

La première décision présidentielle de Peron sera de mettre hors la loi l'Armée révolutionnaire du peuple (ERP), organisation paramilitaire trotskiste n'appartenant pas au mouvement justicialiste.

Depuis le 20 juin 1973, date du retour de Peron, les incidents sanglants (enlèvements, détournements d'avions, attentats) se succèdent. Ils sont tantôt le fait de la droite syndicale, tantôt celui de différentes branches de la Jeunesse péroniste, notamment des Montoneros. Peron, qui cherche à la fois à mobiliser et à contrôler les masses pour faire pression sur la bourgeoisie d'affaires tout en la rassurant, choisit de s'appuyer sur les syndicats, dénonçant un terrorisme « inexplicable contre un gouvernement du peuple ».

Le 25 septembre, deux jours après l'élection présidentielle, José Rucci, secrétaire général de la CGT et proche collaborateur de Peron, est assassiné. Le lendemain, un dirigeant de la Jeunesse péroniste, Enrique Grinberg, tombe à son tour. En octobre, d'autres assassinats, notamment à Cordoba, élargissent le fossé entre la droite et la gauche du mouvement justicialiste. Les événements du Chili viennent conforter la position stratégique de la droite péroniste et de la CGT, et poussent Peron vers une répression plus sévère du marxisme.

Une réforme du code pénal, le 25 janvier 1974, accentue la législation répressive ; ces dispositions étaient en vigueur sous le régime militaire et elles avaient été abrogées en mai 1973. La police est réorganisée, ses effectifs augmentés et son armement accru.

« Ceux qui ne sont pas contents n'ont qu'à s'en aller », lance Peron à l'adresse de la jeunesse qu'en exil il appelait « cette merveilleuse jeunesse ». Huit représentants de la jeunesse péroniste au Parlement démissionnent. À la fin de février, 10 000 policiers de Cordoba se mutinent avec l'appui des syndicats orthodoxes et de la droite péroniste. Le gouverneur Ricardo Obregon Cano (jugé trop progressiste) est fait prisonnier avec le vice-gouverneur et une centaine de leurs collaborateurs. Le gouvernement fédéral reprendra la situation en main quelques jours plus tard. Le gouverneur sera néanmoins contraint de démissionner.

Cependant, l'élection à l'unanimité de José Antonio Allende (principal dirigeant du petit Parti populaire chrétien) à la présidence provisoire du Sénat, troisième personnage de l'État, apparaît comme un camouflet. Notamment à l'encontre de Lopez Rega, ministre du Bien-Être, symbole du clan le plus conservateur du péronisme.

Expansion

Un redressement économique s'opère, sur l'impulsion, en particulier, du nouveau ministre José Gelbard, ancien président de la puissante Confédération générale économique (CGE) et conseiller très écouté de Peron. Fin novembre 1973, une loi sur les investissements étrangers tend à protéger les entrepreneurs argentins de la concurrence étrangère. Un mois plus tard, c'est le lancement d'un ambitieux programme triennal visant à accroître d'un tiers les revenus de chaque famille et à doubler le taux d'expansion.