L'opposition, elle aussi, se mobilise. Elle a mis une sourdine aux controverses et aux divergences, conclu le 27 juin un accord sur un « programme commun de gouvernement » qui est désormais son cheval de bataille. Elle manifeste avec éclat son entente et son dynamisme.

Dynamisme, « dynamisme résolu », c'est le mot d'ordre que Georges Pompidou a donné de son côté au gouvernement et à la majorité. C'est la recette qu'il applique pour sa propre action : de conférences de presse en allocutions radiotélévisées, il fait front, grossit à plaisir les éléments du choix, orchestre la campagne de la majorité, secoue les ministres, cogne de toutes ses forces sur l'opposition.

En même temps, il pratique une politique intérieure plus intransigeante et rude, relayée par ses ministres de l'Intérieur et de la Défense, privilégiant l'ordre, rejetant la contestation lycéenne contre le régime des sursis militaires, la protestation des écologistes contre l'extension du camp du Larzac, les réclamations en faveur de la libéralisation de l'avortement. Lui qui avait jusque-là gracié systématiquement tous les condamnés à mort fait exécuter Buffet, l'assassin de Clairvaux, et même son complice Bontemps.

À l'extérieur, il s'efforce de se placer au centre des débats et des rencontres très nombreuses entre chefs d'État et de gouvernement. Le sommet des Neuf à Paris, à l'automne 1972, a déçu. Mais, dans le chassé-croisé des visites et consultations, Georges Pompidou semble bien s'entendre avec Leonide Brejnev et Edward Heath, moins aisément avec le chancelier Brandt et le président Nixon. Asie du Sud-Est, Proche-Orient, paix mondiale : sa diplomatie est toute personnelle, pragmatique et réaliste aux yeux des uns, dangereuse et vaniteuse selon les autres.

Cette activité, cette alacrité nouvelles ou retrouvées assurent finalement aux élections de mars 1973 le succès de la majorité sortante, qui, tout en cédant du terrain, conserve une marge très suffisante pour gouverner. Dès lors, curieusement, les attitudes intransigeantes vont alterner avec les flottements, les tergiversations.

Fermeté pour le choix des ministres au Quai d'Orsay : Michel Jobert sera, croit-on, l'exécutant de sa politique extérieure ; Raymond Marcellin, Robert Galley, Maurice Druon, Jean Royer, Philippe Malaud, maintenus, nommés ou promus, seront les éléments durs du gouvernement ; à la présidence de l'Assemblée, le chef de l'État impose Edgar Faure. Et il poursuit obstinément sa politique nucléaire malgré les protestations que suscitent les essais français dans le Pacifique ; il accentue sa politique arabe ; il pratique la raideur face aux Européens ; il engage son ministre de l'Intérieur à la répression, à la dissolution des mouvements extrémistes de droite ou de gauche, basques ou bretons.

Dans le même temps, pourtant, il tombe parfois de l'irritation dans l'indifférence ou de la précipitation dans la temporisation. C'est le cas par exemple pour l'affaire Lip, où les négociateurs, d'abord encouragés, sont soudain désavoués ainsi que le ministre qui les a choisis. Pour l'ORTF, où le tout-puissant P-DG choisi avec tant de soin dix-huit mois plus tôt est soudain désavoué lui aussi et lâché. Et pour l'UDR, où, après s'être opposé au choix d'Alexandre Sanguinetti pour le secrétariat général, le président l'accepte finalement.

C'est surtout le cas pour une opération délicate et sérieuse, la révision de la Constitution pour le raccourcissement de sept à cinq ans du mandat présidentiel, brusquement entreprise en juin 1973, hâtivement conduite, dramatisée et présentée comme une décision capitale, puis aussi brutalement abandonnée qu'elle avait été déclenchée lorsqu'il apparaît qu'elle est mal engagée et risque d'échouer.

Janvier-avril 1974 : les trois derniers mois

Ces fluctuations, cette oscillation entre la détermination, l'irritabilité et le laisser-faire, traduisent en fait les progrès de la maladie qui mine le président de la République. Depuis deux ans déjà, l'opinion était souvent alertée par des indispositions, des interruptions et des réductions d'activité de plus en plus fréquentes ; mais elle était plus encore frappée par l'évolution de l'aspect physique, l'empâtement des traits, l'alourdissement de la silhouette. Ainsi l'image de l'homme épuisé qui rencontre le 31 mai 1973, à Reykyavik, un Richard Nixon alerte et souple malgré ses difficultés politiques stupéfie-t-elle la France entière. Et l'on s'étonne, on admire qu'il puisse encore trouver la force, malgré le mal qui visiblement le ronge, de visiter la Chine et de rencontrer Mao à l'automne, de se rendre à Poitiers, puis en Union soviétique au début de 1974. Pourtant il n'est que de voir l'agitation de la classe politique, les préparatifs ouvertement entrepris par les futurs candidats à la succession pour comprendre que les temps sont proches.