Quant à la France, elle s'est réveillée tardivement à l'impératif industriel et n'a découvert que lentement les moyens et les vertus de la compétitivité internationale. Mais, là encore, tout indique que certaines firmes commencent à tirer parti du redressement économique français qui se manifeste depuis 1969. D'ores et déjà, des groupes comme Renault, Pechiney-Ugine-Kuhlmann, la CFP, Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, la CGE, Thomson-Brandt-CSF, Michelin, L'Air liquide, etc., sont bien placés dans la course au multinationalisme.

L'Italie, malgré une croissance très rapide jusqu'à ces dernières années et embarrassée aujourd'hui par des difficultés internes, notamment sur le plan social, n'a placé que peu de pions (Fiat, l'ENI, Olivetti et Montedison) sur l'échiquier multinational.

Prochain adhérent au club : le Japon. Pour le moment, il se contente de développer ses exportations (12 % seulement de son produit national brut) grâce à une expansion rapide, une main-d'œuvre encore bon marché et une agressivité commerciale peu commune. Mais ses firmes les plus importantes, certaines sont gigantesques (Hitachi, Toyota, Mitsubishi, Nissan, Matsuhita, Tokyo Shibaura) ne sont pas encore ou ne sont guère implantées à l'étranger. Une seule société, de taille relativement moyenne, Sony, frôle le multinationalisme.

Défi

Quelles que soient les vertus propres aux sociétés multinationales, vertus tenant généralement à la qualité de leur gestion et à la part déterminante qu'elles prennent dans l'expansion de l'activité économique internationale, chacun s'accorde à redouter les problèmes que pose leur développement. Ces problèmes tournent autour de deux thèmes : le danger d'un renforcement de l'influence américaine et les risques de conflit entre ces sociétés et les États.

La suprématie américaine est écrasante en matière de multinationalisme. Au niveau de la quantité, mais aussi au niveau du poids : une firme multinationale américaine comme la General Motors pèse dix fois plus qu'une firme multinationale française comme Rhône-Poulenc. Au niveau de la qualité les Américains règnent en maîtres sur trois secteurs stratégiques : l'électronique (IBM, Honeywell, Control Data), les télécommunications (ITT) et l'énergie, qu'il s'agisse du pétrole (Standard Oil NJ, Mobiloil, Texaco) ou du nucléaire (Westinghouse, General Electric).

Conséquence : le développement des économies nationales dépend en partie de facteurs qui relèvent de centres de décision américains. Ce handicap économique, grave en soi, peut avoir des conséquences encore plus fâcheuses quand les États-Unis en tirent parti sur le plan politique. Les récentes mésaventures du Chili face à ITT l'ont abondamment prouvé.

Reste à savoir si cette influence des sociétés multinationales américaines va encore s'accroître. Ce n'est pas certain. Parmi les entreprises qui réalisaient en 1971 un chiffre d'affaires supérieur à 10 milliards de francs, on en comptait 47 américaines pour 29 européennes, soit une proportion de 1,6 à 1 ; ce rapport était de 1 à 2,7 en 1970, de 1 à 3 en 1969 et de 1 à 4 en 1968. Explication : au cours des cinq dernières années, le quart seulement des entreprises américaines a connu un taux de croissance supérieur à 10 % contre les trois quarts des européennes. Si cette tendance se poursuit, rien n'interdit d'imaginer que les firmes multinationales américaines deviennent un jour minoritaires.

De toute façon, en majorité ou pas, les firmes multinationales poseront de plus en plus de problèmes aux pays qui les accueillent et à la communauté internationale en général.

Disparité

Alors que les États interviennent de plus en plus dans le domaine économique et social et tentent de définir une stratégie industrielle, voilà qu'un nombre de plus en plus grand d'entreprises vont leur échapper en devenant multinationales donc indépendantes.

Alors que des politiques de développement régional et d'aménagement du territoire essaient d'harmoniser la répartition des créations d'emplois et d'atténuer les disparités géographiques de niveau de vie, voilà que des implantations, décidées on ne sait où ni par qui, vont bouleverser le marché de la main-d'œuvre et accentuer les inégalités de développement. Notons, à cet égard, que les firmes multinationales se heurteront, un jour, à l'influence encore modeste, mais réelle, d'un syndicalisme lui aussi multinational (rôle de la Fédération internationale de la chimie chez Dunlop-Pirelli et Michelin, par exemple).