Un nouvel acte des évêques français va les accroître. Le 13 avril 1973, une note commune de réflexion sur le commerce des armes est rendue publique par le Conseil permanent de l'épiscopat et le Conseil de la fédération protestante de France. Sa publication, prévue d'abord pour la fin de 1972, avait été retardée en raison de la proximité des élections législatives et aussi de difficultés de rédaction : certains évêques jugeaient le texte trop audacieux.

Ce texte critique en effet vigoureusement le développement des exportations françaises d'armes et suggère un plan de réduction progressive des fabrications d'armement. Cette publication, significative de la nouvelle orientation des Églises, a évidemment un grand retentissement, mais ne provoque aucune réaction publique de la part du gouvernement.

Quelques jours plus tard, le 16 avril, un autre organisme officiel de l'Église de France, le Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme, présidé par Mgr Elchinger, archevêque de Strasbourg, publie une autre note qui provoque des remous encore plus vifs. Sur le plan religieux, elle demande aux catholiques de reconnaître les valeurs du judaïsme, souligne avec force que le peuple juif ne doit pas être tenu coupable de déicide et affirme qu'on ne doit pas dire que « le peuple d'Israël a été dépouillé de son élection ». Sur le plan politique, tout en faisant référence aux problèmes des Palestiniens, elle prend acte avec satisfaction du retour du peuple d'Israël sur « sa » terre.

Ambiguïtés

Le grand rabbin Kaplan exprime aussitôt sa satisfaction. Mais de nombreuses protestations ne tardent pas à fuser. Celles qui émanent des milieux chrétiens de gauche, défenseurs habituels des Palestiniens, ne surprennent guère. On observe en revanche avec intérêt que le porte-parole du Vatican, sans désavouer explicitement les évêques français, croit utile de rappeler les positions traditionnelles du Saint-Siège, beaucoup moins favorables à l'État d'Israël. Les communautés chrétiennes d'Orient font connaître leur inquiétude. Et l'Assemblée plénière des évêques du Maghreb dénonce les « graves ambiguïtés » d'un texte qui permet « une confusion néfaste entre judaïsme et sionisme ».

Jamais, depuis le Concile, un épiscopat n'avait pris à partie avec une telle violence un texte d'un autre épiscopat. Enfin, le cardinal Daniélou, un des fondateurs, pourtant, de l'association l'Amitié judéo-chrétienne, relève, dans un article sévère publié par le Figaro le 28 avril, les « grands défauts » du texte.

Spiritualité

Que l'Église de France paraisse ainsi de plus en plus tournée vers l'extérieur n'éclipse pas ses autres préoccupations. Ses responsables s'interrogent, notamment, sur les besoins nouveaux de spiritualité qui se manifestent, dans la société, par le succès des spiritualités orientales et des sectes, et, au sein du catholicisme lui-même, par le développement de groupes de prières et l'attirance des monastères contemplatifs. C'est pourquoi le cardinal Marty fait mettre à l'ordre du jour de la prochaine assemblée des évêques, pour l'automne 1973, le problème de la prière.

Par ailleurs, tous les mouvements contestataires ne sont pas encore apaisés. La crise du sacerdoce, par exemple, sévit toujours, et se traduit par de nouveaux incidents. C'est ainsi qu'à Toulouse six prêtres et une religieuse de la paroisse Saint - François - Xavier annoncent, le 19 novembre, leur démission, par solidarité avec l'un des leurs auquel l'évêque avait demandé de ne plus exercer son ministère, jugeant celui-ci inconciliable avec la pratique de l'union libre. Récusant cette dernière expression, les prêtres ripostent : « Le droit de se marier, n'est-ce pas un droit fondamental de tout homme, fût-il prêtre ? Quand le mariage est interdit et le célibat imposé par une institution, fût-elle l'Église, celle-ci a-t-elle encore le droit de donner des leçons de justice et de liberté à la société ? »

Blâme

À l'assemblée de Lourdes, un rapport de Mgr Fretellière, évêque auxiliaire de Bordeaux, souligne que le nombre des grands séminaristes en France a diminué de 47 % entre 1963 et 1971, et celui des ordinations de 58 %. Il indique qu'en 1971 près de 200 prêtres ont quitté le clergé. Les prêtres diocésains qui étaient, en 1965, au nombre de 40 994 ne seraient plus que 31 820 en 1975. La discussion de ce rapport est marquée, notamment, par une intervention de Mgr Riobé, évêque d'Orléans, qui fera quelque bruit. Il demande en effet que soient envisagées de nouvelles manières d'exercer le ministère presbytéral. Il paraît souhaiter que le ministère puisse être exercé, peut-être à temps partiel et temporairement, par des hommes choisis par les communautés chrétiennes et éventuellement mariés. Le courrier reçu par l'évêque d'Orléans à la suite de cette intervention ayant été publié en librairie, le Conseil permanent de l'épiscopat désapprouve vivement cette publication dans un communiqué du 7 février. Mgr Riobé se trouve donc implicitement blâmé.

Avortement

L'épiscopat s'interroge, d'autre part, sur le problème de l'avortement. C'est pour constater que, dans le débat qui se poursuit à travers le pays sur ce thème, les positions de l'Église sont mal comprises. Il décide donc de confier de nouvelles recherches à quatre équipes de travail auxquelles participent des médecins, des biologistes, des psychologues, des démographes avec des théologiens et des moralistes.

Divorcés

Enfin, la quasi-totalité des diocèses de France adopte des dispositions nouvelles dans un domaine auquel l'opinion publique est très sensible : les funérailles de divorcés remariés. Alors que ceux-ci se voyaient jusque-là refuser des funérailles chrétiennes, elles leur sont accordées à condition qu'ils aient manifesté leur attachement à la foi chrétienne, non seulement au moment de la mort, mais surtout de leur vivant. Les divers communiqués soulignent cependant que cette attitude n'implique « en aucune façon la remise en cause de l'indissolubilité du mariage ni un accord pour l'accès des divorcés remariés aux sacrements ».

Belgique

L'assistance à la messe dominicale connaît une forte régression, indiquent des travaux statistiques publiés à la fin de 1972. Cette diminution de la pratique est surtout sensible dans les diocèses flamands, où elle était traditionnellement très élevée. En cinq ans, de 1965 à 1970, elle est ainsi passée de 46,3 % à 38,1 % dans le diocèse d'Anvers, de 58,3 % à 50,9 % dans le diocèse de Bruges, de 52,3 % à 43,9 % dans celui de Gand. (Ces pourcentages représentent le nombre de participants à la messe par rapport à la population totale de 5 à 70 ans.) Cependant, dans la partie francophone du pays, la diminution est moins nette : de 34,8 % à 31,3 % dans le diocèse de Liège, de 23,5 % à 21,6 % dans celui de Tournai. Il est vrai que, dans ces diocèses, le taux de pratique était déjà beaucoup plus faible. Au total, pour l'ensemble du pays, les catholiques pratiquants réguliers ne sont plus que 37,6 % (contre 43,9 % en 1965).

Hollande

Entre Rome et l'Église de Hollande, les difficultés se multiplient. Dans le courant de l'été 1972, l'épiscopat hollandais s'est trouvé contraint de suspendre la réunion du Conseil pastoral national (organisme délibératif élu par les fidèles) prévue pour octobre.

Autorité

La curie romaine, qui prépare une réglementation d'ensemble de tels organismes, n'admet pas, en effet, que leurs membres soient élus et non désignés par les évêques ; elle craint aussi que la position d'autorité de l'épiscopat soit compromise par les statuts du conseil. Pour remplacer cette réunion, les évêques convoquent alors, le 26 janvier 1973. une rencontre nationale sur le thème de « la Justice dans le monde ». Au cours de cette réunion, le problème de la justice au sein de l'Église de Hollande suscite de très vifs remous et provoque le départ du nonce apostolique, Mgr Felici, qui avait accepté d'y assister. Le débat porte en effet sur la situation du diocèse de Roermond. Son évêque, Mgr Gijsen, qui avait été nommé le 22 janvier 1972 par Rome contre le vœu de la majorité des prêtres du diocèse qui le jugeait conservateur, a eu durant toute l'année des difficultés avec ceux-ci. Les premières mesures qu'il a prises ont encore aggravé une situation déjà très délicate. À tel point que les autres évêques publient le 12 décembre un communiqué demandant aux fidèles et aux prêtres qui, « les années précédentes, se sont consacrés au renouvellement de l'Église à la suite de Vatican II, de continuer à s'engager pour l'Église sans se laisser décourager ». Autrement dit, l'épiscopat, à la différence de Rome, n'apporte aucun appui à Mgr Gijsen et demande seulement à ses prêtres de ne pas se décourager. Et la dispute reprend à la rencontre du 26 janvier 1973.