Les documents adoptés à Lourdes s'abstiennent donc, comme on pouvait le prévoir, de toute prise de position politique précise. Mais ils se caractérisent par un très grand esprit d'ouverture (aucune limite, ni à l'extrême droite ni à l'extrême gauche, n'est fixée au pluralisme). Et cet esprit d'ouverture semble surtout profiter à la gauche. Différents signes, en effet, confirment dans les mois qui suivent l'attirance exercée par la gauche sur une fraction assez importante du clergé. Certes, la masse des catholiques pratiquants continue à accorder sa confiance aux partis modérés (à la veille des élections législatives du 4 mars, 70 % d'entre eux, interrogés par l'IFOP pour la Vie catholique illustrée, se déclarent disposés à voter pour la majorité). Il n'en va pas de même des catholiques militants, et surtout des prêtres. Un autre sondage de l'IFOP, publié par le Point, montre que 34 % d'entre eux sont disposés à voter pour la gauche et 50 % pour la majorité ; parmi les prêtres de moins de quarante ans, 64 % se disent décidés à voter pour la gauche, et 26 % pour la majorité. Un double clivage est donc perceptible : entre les prêtres et les fidèles ; entre les prêtres de moins de 40 ans et les prêtres les plus âgés, de plus de 50 ans.

L'incidence politique de cette évolution n'est pas non plus négligeable. Analysant les résultats du premier tour de scrutin dans son numéro du 9 mars, l'Unité, hebdomadaire du parti socialiste, écrit : « Les catholiques, cette fois, ont fait la différence. La nouvelle géographie électorale montre qu'en Alsace, en Bretagne, dans la Région Rhône-Alpes, les catholiques et les nouvelles classes moyennes se sont tournés vers le parti socialiste. » C'est, en effet, le parti socialiste qui bénéficie le plus nettement du phénomène. Mais on constate aussi que, dans plusieurs départements, des prêtres ou des religieux signent, en tant que tels, des appels à voter pour les candidats communistes, sans recevoir de l'épiscopat ni blâme ni réprimande.

Les évêques, d'ailleurs, se gardent de prendre position dans la lutte électorale. À l'issue de l'assemblée de Lourdes, le cardinal François Marty avait ainsi justifié d'avance leur silence : « Que, pour le respect de la justice et sa promotion, il y ait prise de parole sans craindre les difficultés, c'est juste. Que les catholiques prennent leurs propres responsabilités dans les batailles politiques, c'est normal. Mais que l'Église, par notre manque de vigilance, ne soit plus libre pour l'Évangile, ce serait grave. L'Église, comme communion et institution, se doit de garder les mains libres. »

Dichotomie

Une telle évolution ne se manifeste pas seulement, c'est évident, dans le champ clos des luttes électorales. De plus en plus souvent, des églises accueillent des grévistes de la faim (groupes non violents, ou travailleurs immigrés qui demandent un aménagement de la législation les concernant). On voit même, au soir de Noël, le clergé de Valence refuser de célébrer la messe de minuit pour manifester sa solidarité avec des travailleurs tunisiens en grève.

Dans un autre domaine, une polémique discrète, mais assez vive, s'engage entre Pierre Messmer et l'archevêque de Toulouse, Mgr Guyot. Au cours d'un voyage officiel à Toulouse, le Premier ministre avait déclaré aux militants de l'UDR (le 28 septembre) : « En politique, les règles de la charité évangélique ne sont pas applicables. Si vous recevez un soufflet sur la joue droite, ne tendez pas la joue gauche. Répondez de préférence par un bon coup de poing. » L'archevêque répond, le 4 octobre : « Telle n'est pas la pensée du Christ et de son Église. Un chrétien qui ferait deux parts dans son existence, l'une pour sa pratique religieuse, voire pour sa vie familiale, l'autre pour sa vie professionnelle ou ses activités politiques, la première soumise aux exigences de l'Évangile et la deuxième lui étant soustraite, établirait en lui une dichotomie inacceptable. » On mesure à cette occasion que les difficultés de compréhension entre hommes d'Église et hommes de gouvernement, apparues dans les années précédentes, ne sont guère aplanies.