Outre cette offensive sur trois fronts, Moscou poursuit la vaste campagne diplomatique lancée il y a quelques années en Europe autour de deux idées chères à l'Union soviétique : la détente et la coopération.

La détente, notamment dans le domaine militaire, avec la négociation MBFR (réduction équilibrée et mutuelle des forces armées) ; la coopération, avec la Conférence de sécurité et de coopération européennes.

Au terme de longs préparatifs, ces deux négociations sont mises sur les rails. Certains pays européens ne s'y sont résignés que du bout des lèvres. D'autres, comme la Roumanie, en ont profité pour s'élever contre les tentatives d'hégémonie des super-grands. La France, quant à elle, accepte de négocier à Helsinki sur la sécurité et la coopération, mais refuse de participer au MBFR, estimant que toute négociation de bloc à bloc est dangereuse et inefficace.

En juin 1973, un homme recueille les dividendes de tous ces succès remportés dans l'arène internationale : Leonide Brejnev.

Il n'est plus le premier de la troïka. Il est le Premier tout court. Il est fortement question de remanier la Constitution et de conférer à l'actuel secrétaire général du parti communiste le titre de chef de l'État.

Épuration

Neuf ans après son arrivée au pouvoir, à la place de Khrouchtchev à qui les dirigeants du Kremlin reprochaient son vedettariat, Leonide Brejnev réussit à s'imposer comme chef incontesté du pays ; son nom est cité, en moyenne, une vingtaine de fois dans chaque journal soviétique. Il fait plébisciter sa politique par le Comité central et par les dirigeants des pays socialistes. Et c'est tout logiquement qu'il se voit attribuer, au moment du renouvellement des cartes du parti (la première fois depuis dix-sept ans), la carte no 2, la carte no 1 étant réservée traditionnellement à Lénine.

Le renouvellement des cartes du parti (environ 14 millions de membres en 1972-73) devait fournir l'occasion d'une vaste épuration. La presse avait longtemps énuméré les catégories visées : les profiteurs, les voleurs, les mauvais travailleurs, les mauvais citoyens et les asociaux. Apparemment, les membres du parti visés se sont amendés. Le pourcentage de cartes non renouvelées serait extrêmement faible.

En revanche, Brejnev, apparatchik par excellence, lance une double épuration de l'appareil du parti. Contre les durs, hostiles à sa politique d'ouverture vers l'Occident, et contre les nationalistes, qu'il tient pour responsables de toutes les manifestations antirusses.

Chelest et Voronov sont évincés du Politburo. Piotr Chelest, ancien numéro 1 de l'Ukraine, avait déjà été écarté de son poste au moment de la visite de Nixon en URSS. Brejnev lui reproche d'avoir poussé à l'invasion de la Tchécoslovaquie (en fournissant de faux documents au Comité central), d'être hostile à un rapprochement avec Washington et de ne pas avoir su maîtriser les courants nationalistes en Ukraine.

En fait, Brejnev se débarrasse à bon compte de deux adversaires, qu'il fait remplacer par deux personnalités de premier plan : Andropov, le patron du KGB (Comité pour la sécurité de l'État), et Gretchko, ministre de la Défense. L'armée et la police au bureau politique, c'est, pour le secrétaire général du PC, l'assurance de ne pas être inquiété par les deux principaux groupes de pression soviétiques.

La lutte contre le nationalisme est particulièrement acharnée en Géorgie. La république natale de Staline a toujours été hostile au pouvoir centralisateur et russificateur de Moscou. Fin 1972, des incidents éclatent en Géorgie, et, à Tbilissi, l'armée doit envoyer des détachements sur place. Après une nouvelle campagne de presse, où il est surtout question de gaspillage et de délits économiques, la direction du parti et le gouvernement géorgien sont remaniés.

Des opérations semblables mais limitées sont effectuées dans la plupart des républiques et territoires autonomes, notamment en Ukraine, dans les pays baltes et en Asie centrale.

Intellectuels

Parallèlement à sa politique d'ouverture à l'Occident, le Kremlin se durcit vis-à-vis des intellectuels. À la suite de nombreuses perquisitions et arrestations, à Moscou, à Leningrad et dans les principaux centres intellectuels, par exemple à Akademgorodok, la cité des savants, la production de samizdats (publications clandestines) est considérablement réduite. Plusieurs chefs de file du mouvement contestataire, notamment Vladimir Boukowski et Piotr Yakir, sont arrêtés. Les condamnations à la prison, au camp de travail, voire à l'asile, se multiplient. Première conséquence : La chronique des événements vécus, véritable journal de l'opposition illégale, cesse de paraître. Les contacts entre dissidents et journalistes étrangers sont rendus encore plus difficiles. De nombreux informateurs bénévoles, et même des correspondants étrangers, sont bousculés, sinon rossés, par les agents de la police secrète.