Journal de l'année Édition 1972 1972Éd. 1972

Quelques semaines plus tard, A. Chalandon récidive ; il imagine, en février 1972, un jeu de construction à l'usage des adultes. Les sociétés fabriquant industriellement des maisons individuelles devront mettre à la disposition de leur clientèle des boîtes de pièces détachées lui permettant de composer à sa guise, selon un mode d'emploi joint à ce Meccano immobilier, la maison de ses rêves et de pouvoir en calculer le prix exact avant d'en passer commande. « De la confection lancée avec le concours de la maison individuelle (Journal de l'année 1968-69), on passe à la mesure industrielle », indique le ministre.

Plutôt que de donner au public les moyens effectifs de choisir lui-même, ne vaudrait-il pas mieux faire un effort pour l'éduquer en un domaine où son ignorance est généralement manifeste ?

La beauté en architecture serait-elle devenue, comme le prétendent volontiers les promoteurs si peu soucieux d'offrir des réalisations décentes sur le plan de l'esthétique, un luxe inaccessible ? « On met en œuvre de la pierre, du bois, du ciment ; on fait des maisons, des palais : c'est de la construction, l'ingéniosité travaille... Mais tout à coup vous me prenez au cœur, vous me faites du bien, je suis heureux, je dis : c'est beau !... Voilà l'architecture : l'art est ici... » Les paroles de Le Corbusier, dans leur raccourci saisissant, n'ont jamais été plus justement actuelles. Jamais les occasions d'être pris au cœur ne se sont faites aussi rares.

En bâtissant sur la place du Colonel-Fabien, à Paris, le nouveau siège du parti communiste, Oscar Niemeyer fait, cette fois encore, la preuve que l'architecture peut et doit être œuvre d'artiste avant d'être un exercice de style économique dont on avance le prix au mètre carré pour en faire excuser la platitude désolante. La grande courbe de sa façade de verre, la terrasse supérieure aménagée en jardin avec ses cheminées traitées en sculptures, les proportions du vaste hall à rez de chaussée, le choix des matériaux à la fois sobres et élégants, font de cette réalisation (seule la première tranche est achevée) un modèle d'élégance.

Autre exemple probant, la caserne des pompiers, boulevard Masséna à Paris, que Jean Willerval a composée avec un souci constant de faire à la fois beau et fonctionnel. Ici encore, l'architecte a pris la peine — bien que ne disposant que de crédits modestes — de donner à sa composition sculptée dans le béton brut de décoffrage, à partir, pourtant, d'éléments préfabriqués industriellement d'après ses dessins, les volumes, les façades, les détails, les pleins et les déliés qui sont la marque de l'écriture architecturale d'un maître.

Que n'a-t-on confié à des hommes de cette trempe le soin de réaliser les grands hôtels dont la capitale avait un tel besoin et dont les trois premiers ont été simultanément inaugurés au printemps 1972 ? Si Macé a su donner à l'hôtel du Club Méditerranée (Neuilly) des façades et des proportions acceptables, René A. Coulon a choisi pour l'hôtel Le Méridien (boulevard Gouvion-Saint-Cyr) la banalité, tandis que Giudicelli, auteur du PLM-Saint-Jacques (boulevard Saint-Jacques) a dessiné là des reliefs convenant davantage à quelque ensemble administratif qu'à un palace.

L'an prochain, Guillaume Gillet — dont on n'a pu oublier le désastreux projet d'aménagement du rond-point des Champs-Élysées, heureusement abandonné — achèvera à la porte Maillot, sur remplacement de l'ancien Luna Park, un gigantesque ensemble de congrès. Un hôtel-tour de 32 niveaux (1 000 chambres), 18 salles de travail dont une comptera à elle seule 3 200 places, les autres totalisant ensemble 3 780 fauteuils, des restaurants, une gare routière, des commerces, etc. Les Parisiens trouveront-ils là matière à apaiser leur courroux face à l'envahissement du béton qui cerne la capitale, envahit les banlieues les unes après les autres et s'en prend même chaque jour à de nouveaux périmètres ruraux ?

Le design

Tandis que les uns déplorent un état de fait contre lequel ils ne peuvent rien — les projets d'urbanisme ne font hélas ni l'objet de consultation ni de référendum —, les autres cherchent un semblant de consolation dans une forme nouvelle d'esthétique à usage interne, le design. Entré par la petite porte dans notre existence quotidienne durant ces dernières années, le design est en passe de conquérir ses lettres de noblesse.