Armée

La force nucléaire, pierre angulaire de la réorganisation

Au début de juillet 1970, Michel Debré, ministre d'État chargé de la Défense nationale, informe les associations d'anciens militaires de carrière de sa décision de confier au général de division aérienne Becam la présidence d'un groupe de travail sur la condition des officiers. Cette enquête sera menée sur place, dans les services, les écoles et les différentes unités des trois armées, plus particulièrement auprès des jeunes officiers.

La création de ce groupe de travail interarmées est un fait assez exceptionnel.

En temps normal, pour se tenir informé des sentiments qui animent les cadres d'activé, le ministre de la Défense dispose des rapports sur le moral que lui adressent chaque année les chefs d'état-major, des comptes rendus de la Sécurité militaire ou des rapports réguliers de ses inspecteurs généraux. Mais ces analyses officielles sont souvent édulcorées ou prudentes et les cadres accusent traditionnellement leurs auteurs de refléter très incomplètement, voire de déformer, les opinions des subordonnés.

Amertume des officiers

À l'origine de cette décision, on trouve une grave crise de l'institution militaire, une amertume très vive des officiers, qui parlent de prolétarisation, et des divergences de vues importantes sur les missions nouvelles des armées entre les états-majors, le ministre de la Défense nationale et l'ensemble du corps des cadres d'activé, dont la cohésion est sérieusement menacée par l'application de mesures anciennes.

Le précédent ministre des Armées, Pierre Messmer, en 1968, avait pris deux décisions qui ont leur plein effet en 1970 et qui touchent les deux tiers des officiers de l'armée de terre, un peu moins dans les deux autres armées, dont le recrutement est plus homogène : c'est-à-dire les officiers qui ne sortent pas des grandes écoles militaires. Le 10 juillet 1968, le gouvernement attribuait, par décret, une prime de 10 % de la solde de base, pendant la première partie de leur carrière (jusqu'au grade de commandant inclus), aux seuls officiers issus des concours directs. Le 11 septembre suivant, un arrêté permettait à ces mêmes officiers de gravir les échelles de solde, entre les grades de lieutenant et de commandant, beaucoup plus vite que leurs camarades anciens officiers de réserve rengagés par contrat ou sous-officiers qui ont accédé à l'épaulette.

Ces décisions, très contestées, se sont traduites par d'importantes inégalités de solde entre deux officiers dont l'ancienneté et le grade sont équivalents, mais qui ne sont pas du même recrutement. De surcroît, elles n'ont pas empêché « la baisse inquiétante du nombre des candidats aux grandes écoles militaires et la quasi-disparition des vocations d'officier, à la sortie de Polytechnique » comme le souhaitait le ministre des Armées.

En même temps qu'il se préoccupait d'améliorer la condition des cadres de carrière, Michel Debré faisait approuver, par le Conseil des ministres du 29 juillet 1970, son projet de troisième loi-programme d'équipement militaire à long terme, qui fixe, pour la période de 1971 à 1975 (ces deux années incluses), les dépenses des forces armées dans le domaine des armements nucléaires et classiques.

L'ensemble des dépenses militaires entre 1971 et 1975 devrait s'élever à 168 500 millions de francs (courants) en crédits de paiement, dont un peu plus de 51 % pour le fonctionnement des armées. Compte tenu de la croissance du revenu national au cours des cinq prochaines années, Michel Debré a estimé que le budget militaire représenterait en 1975 environ 3,5 % du produit national. La troisième loi-programme quinquennale — qui aura la même durée que celle du VIe plan — prévoit d'allouer pour les dépenses d'équipement militaire 98,5 milliards de francs en autorisations de programme. Sur ce total, le gouvernement s'est engagé à consacrer un peu plus de 30 milliards, soit le 1/3 du montant global des investissements militaires, aux forces nucléaires.

Deux mesures complètent la loi du 9 juillet 1970 sur le service national.