Entre-temps, les physiciens américains auront fait démarrer — probablement dès la fin de cette année — leur synchrotron de Batavia, près de Chicago, qui semble devoir atteindre, avec des aimants classiques, 400 à 500 GeV. Nul ne peut prévoir ce que seront les étapes suivantes de cette course aux hautes énergies, dont le but est de découvrir les secrets ultimes de la matière. Ce qui est maintenant sûr, c'est que la science européenne n'abandonne pas la partie.

Le réacteur franco-allemand de Grenoble

Fruit d'un accord de coopération scientifique franco-allemand, l'Institut Max von Laue-Paul Langevin a été mis en place à Grenoble au cours de 1971. Il exploitera un réacteur à haut flux de neutrons, dont l'entrée en service est prévue pour la fin de l'année.

Atomes artificiels

Des physiciens allemands travaillant auprès du grand accélérateur du CERN ont réussi à fabriquer des atomes dans lesquels un électron est remplacé par une autre particule, soit un sigma négatif, soit un antiproton.

L'antiproton et le sigma négatif sont l'un et l'autre porteurs d'une charge négative égale à celle de l'électron. Mais la masse d'un antiproton, comme du reste celle d'un proton, est d'environ 1 840 fois celle d'un électron.

Quant à la particule sigma, c'est un hypéron, c'est-à-dire une particule dont la masse est supérieure à celle des neutrons ou des protons. Une particule sigma a une masse égale à environ 2 327 masses électroniques.

En raison de cette différence de masse, les atomes artificiels ainsi créés ont une durée de vie très brève. Elle s'évalue en millionièmes de seconde. La particule chargée négativement qui remplace l'électron tombe rapidement sur le noyau de l'atome, et ce choc provoque des réactions qui intéressent beaucoup les physiciens.

Ce n'est pas la première fois que l'on réalise des atomes anormaux, qui n'existent pas dans la nature. On a déjà remplacé les électrons par des mésons pi (pions), par des mésons mu (muons) négatifs (dits parfois électrons lourds) et par des mésons K (kaons).

Il y a une quinzaine d'années, des physiciens américains avaient réussi à fabriquer un atome de nombre atomique 1, comme l'hydrogène, mais dans lequel le proton du noyau était remplacé par un électron positif ou positron. Cet élément artificiel avait été baptisé positronium. De telles expériences ne sont pas de simples amusettes pour physiciens. Elles permettent d'explorer la structure encore imparfaitement connue du noyau atomique.

Flux de neutrons

Pour explorer les propriétés de la matière, soit à l'état solide, soit à l'état liquide, les laboratoires de physique les plus avancés utilisent depuis une vingtaine d'années les flux de neutrons produits par les réacteurs nucléaires. Avant de servir à cet usage, les neutrons doivent être portés au niveau thermique, c'est-à-dire considérablement ralentis, jusqu'à être animés de vitesses voisines de celles des molécules de la matière dans les conditions de température ordinaires. Leur interaction avec les échantillons de matière permet d'étudier la disposition et le mouvement des atomes au sein des solides, le niveau d'énergie de ces atomes, et de mesurer le moment magnétique des particules.

Ces mesures sont d'autant plus fructueuses que le flux de neutrons est plus intense. La valeur et la nature des expériences entreprises dépendent donc fondamentalement de l'intensité et de la qualité des faisceaux de neutrons. Seuls des réacteurs spécialement étudiés dans ce dessein sont capables de produire de tels flux. Le premier réacteur à haut flux a été construit aux États-Unis après une dizaine d'années d'études, en 1965, à Brookhaven. La construction d'un réacteur du même genre en Grande-Bretagne et en Union soviétique est seulement en projet. Le réacteur de Grenoble sera donc une installation d'avant-garde. Il consommera de l'uranium enrichi à 93 %. Les neutrons seront ralentis par un réflecteur d'eau lourde ; les appareils expérimentaux seront placés au sein d'une piscine remplie d'eau ordinaire déminéralisée, autour du réflecteur d'eau lourde. Le flux de neutrons thermiques sera le doubla de celui du réacteur de Brookhaven.