Choix du site : puisque les gouvernements n'arrivent pas à s'entendre sur l'un des sites qui ont été proposés dans divers pays d'Europe, on n'en retiendra aucun. La nouvelle machine sera construite à proximité de l'actuel synchrotron à protons de 28 GeV, à Meyrln, sur la frontière franco-suisse, au siège du CERN. Plus de jaloux.

Pourquoi cette solution n'avait-elle pas été imaginée plus tôt ? En partie, sans doute, parce que le paysage montagneux du Genevois se prêtait mal à une installation exigeant de grandes étendues planes : un synchrotron de 300 GeV ne comprend pas seulement le grand accélérateur, mais aussi plusieurs machines annexes, dans lesquelles les particules subissent une accélération préalable avant d'être injectées dans le grand anneau. C'est ici qu'est intervenue l'idée qui a tout rendu possible : on ne construira pas d'installations annexes. C'est l'actuel synchrotron de 28 GeV qui assurera le premier étage d'accélération et injectera ses faisceaux de particules dans la nouvelle machine. L'économie de dépenses est évidemment considérable sur l'ensemble du projet.

L'accélérateur de Batavia

Le grand accélérateur de Batavia, près de Chicago, dont le démarrage avait été annoncé pour 1972, aura probablement commencé à fonctionner près d'un an avant la date prévue. C'est un anneau de 2 km de diamètre, différent dans son principe de tous les synchrotrons à protons existant jusqu'ici, y compris le nouvel accélérateur du CERN. Dans toutes ces machines, les mêmes électro-aimants sont chargés d'incurver la trajectoire des protons et de focaliser le faisceau. À Batavia, il existe des aimants de focalisation, qui resserrent le faisceau de protons, et des aimants de courbure : le trajet suivi par les particules est une succession d'arcs de cercle et de segments de droite.

La machine de Batavia a été conçue comme devant donner une énergie de 200 GeV, ultérieurement portée à 400 GeV. Ces paliers dans les performances ne résultent pas, comme c'est le cas au CERN, de la technique des aimants manquants, mais d'une élévation progressive de l'énergie qui alimente les électro-aimants mis en place.

Les premiers essais ont toutefois montré que les champs magnétiques créés par les aimants de courbure sont supérieurs aux valeurs prévues, de sorte que la machine atteindra probablement 500 GeV. Elle dépassera donc légèrement en puissance celle du CERN, à moins que celle-ci n'apporte à son tour d'heureuses surprises. Mais les Soviétiques, dont le synchrotron de Serpoukhov a tenu la tête pendant deux ou trois ans (Journal de l'année 1968-1969), songent déjà à une machine beaucoup plus puissante. En dépit des protestations émises jusque dans certains milieux scientifiques contre une méga-science dévoratrice de crédits et apparemment dépourvue d'applications pratiques, la course aux hautes énergies ne semble pas près de s'arrêter.

Les supraconducteurs

Autre idée : installer, dans un premier temps, des aimants qui donneront à l'accélérateur une puissance d'environ 200 GeV, en réservant autour de l'anneau la place qui pourra accueillir d'autres aimants, dès que l'on disposera de nouveaux crédits. Cette technique des aimants manquants présente encore un autre avantage. Elle permet d'escompter sans risques un progrès technologique qu'on est sur le point d'atteindre : la réalisation d'aimants à supraconductivité.

La supraconductivité est la propriété que présentent certains métaux ou alliages de n'offrir plus aucune résistance au courant électrique quand ils sont refroidis aux environs du zéro absolu. Il n'y a donc plus ni échauffement ni perte d'énergie. Des électroaimants à bobinages supraconducteurs peuvent ainsi, à volume et dépense égaux, développer des champs magnétiques bien plus puissants que les électro-aimants classiques. Mais si l'on sait déjà construire des électroaimants supraconducteurs produisant un champ constant (aimants à courant continu), les électro-aimants supraconducteurs produisant des champs pulsés (aimants à courant alternatif), nécessaires pour un synchrotron, posent encore des problèmes. Plusieurs laboratoires travaillent à les résoudre et espèrent y parvenir au cours des prochaines années.

Feu vert pour l'Europe

Le 19 février 1971, dix pays européens sur douze (la Grèce et le Danemark s'abstenant) ont enfin donné le feu vert au projet Adams — qui leur coûtera 1 150 millions de francs suisses au lieu des 1 970 millions du projet primitif. Les travaux ont commencé. On prévoit que les premières expériences à 150 ou 200 GeV pourront commencer en 1976. Si, ensuite, de nouveaux crédits permettent de remplir les places restées vides autour de l'anneau avec des aimants classiques, l'accélérateur atteindra ou dépassera 300 GeV. Si, au lieu d'aimants classiques, on met en place des aimants supraconducteurs, on arrivera à 500 GeV. Et si l'on remplace aussi les premiers électroaimants pour utiliser la supraconductivité dans tout l'équipement, on atteindra 1 000 GeV.