Tout cela en demi-teintes : bleu grisé, vert-de-gris, feuille morte, caramel, moutarde. Du rosé au muscat, la mode emprunte les couleurs du vin et, du grège au brun, des nuances naturelles qui sont une grâce pour tout le monde.

Ombres et soleil

Ces tons assourdis vont avec la ligne longue. Au contraire, les couturiers qui habillent haut et court bousculent de leurs tons vifs la grisaille du temps. Ungaro projette sur tout la lumière des vacances. Dans ses toiles, signées Sonia Knapp, s'ébauche une mode victorieuse des saisons. Rose, violine, turquoise déroulent sur le crêpe de laine, sur la soie, des ondes fulgurantes qui illuminent le teint. Louis Féraud réchauffe l'hiver de ses impressions mexicaines. Cardin a choisi des coloris lunaires : l'argent, le gris, le blanc.

Modestes le jour, dans des bas opaques, en jersey brun de laine ou de Nylon, les jambes du soir sont noires, allongées d'une baguette unique (Dior), ornées de motifs en forme de fleurs (Cardin). Aux chaussures basses lacées, aux mocassins à franges de cuir, aux boots succèdent alors les sandales à lanières en vernis, les escarpins à talons miroitants, en métal ou en Plexiglas, qui posent sous les pas une touche de lumière.

Tout en laine le jour, austères souvent sous les jupes allongées, les vestes étroites, les bonnets au crochet, enfouies dans des tons graves, les femmes s'éclairent à la nuit. La gaze de soie habille de nuages dorés les gitanes de Dior, les robes de minuit ont des plumes chez Venet, des pétales que le mouvement anime chez Cardin, du marabout, des paillettes, des sequins, des mousselines dans toutes les boutiques.

À ces fêtes, il faut des bijoux importants, des motifs baroques en laque noire et dorée, en plastique de couleur. Les artistes façonnent l'argent en longues chaînes, les émaux en sautoirs, le cristal en étoiles.

La mode « invisible »

À côté des corsets à baleines et des guêpières de nos grand-mères, le musée des dessous féminins risque de s'enrichir de deux nouvelles pièces. Chassé par le panty et le collant, le porte-jarretelles s'est glissé dans le sanctuaire et le soutien-gorge l'y rejoint. Pour les élégantes 1970, ne plus porter de soutien-gorge est un impératif majeur.

Printemps-été : offensive du charme

L'œil s'est habitué. La mode mi-longue est dans la rue, déjouant l'affirmation des sondages (« Les hommes préfèrent le court... ») et les prévisions de certains augures. En montrant des collections où le demi-long triomphe — 70 % des modèles sont à midi (mi-mollet) — les couturiers ont fait tourner le vent. Depuis on s'affaire dans les ateliers à allonger ce qui peut l'être encore sans dommage.

Les maximanteaux de l'hiver ont préparé l'œil a cette évolution que les créateurs les mieux inspirés, ou les plus avertis, cajolaient en secret. Curiosité, nostalgie, découverte ? Pour un grand nombre de femmes, la mode mi-longue marque moins la différence d'âge et de génération. Les adolescentes, délaissant les justaucorps et la jupe des majorettes, s'exercent à une féminité nouvelle.

En ce printemps, cinglé d'âpres giboulées, le long l'emporte donc. Mais le court demeure. Sous le manteau qui bat les mollets.

Où s'arrête, en fait, l'ourlet ? À 33 cm du sol pour le jour ; au-dessus de la cheville pour le soir. La nouvelle longueur ne déséquilibre ni n'alourdit la ligne, elle la recompose selon des proportions différentes. La taille est fine, bien prise dans une ceinture ; le buste est mis en valeur par des décolletés, ou, à l'inverse, par des cols, des collerettes ou des manches façonnées. La jupe, évasée à partir des hanches, s'assouplit de plissés ou de godets. La tête, petite, allonge le cou. Elle est coiffée de cheveux courts, plaqués sous des bonnets de coton tricotés, des voilettes, des foulards noués en bandeaux ou serrés en chignon, couronnés de nattes.

Trompe-l'œil

Pour allonger sans ennuyer, les couturiers ont usé du trompe-l'œil : fentes, découpes, échancrures. Cardin donne de la mobilité à ses jupes en les ouvrant jusqu'à mi-cuisse, devant et derrière. Balmain ajoute 30 cm de franges à des fourreaux de soie. Dior joue la transparence : ses chemises en crêpe georgette, longues, fendues sur des tuniques très courtes du même ton, tout à la fois habillent, cachent et révèlent la jambe. L'image audacieuse lancée par Cardin voici quatre saisons d'une jupe courte sous un manteau long a donné naissance à une légion de modèles dont l'équilibre des lignes est moins sûr, mais que les jouvencelles endossent avec gaieté, amusées de découvrir leurs genoux dans l'entrebâillement d'un manteau frôle-cheville.

Tropical ou gitan

Aux deux pôles de la mode, d'autres idées se répandent qui ne sont pas sans parenté : le style tropical et le folklore. Stricte, d'une ligne presque martiale évoquant les tuniques militaires, le style tropical se reconnaît à ses vestes sahariennes, portées sur des jupes-culottes, des shorts, des pantalons, et à ses robes. Les vestes ont des manches longues ou courtes à revers et, comme les robes, des poches multiples, des ceinturons de sangle ou de cuir. Compléments : le chapeau de brousse ou le casque, les bottes, la sacoche à l'épaule. Le style tropical habille de toile, de gabardine de coton et de laine ; il prend aussi la souplesse du serpent-daim à écailles couleur d'algue (Dior), la douceur d'un gros shantung (Ricci), dans les tons du désert, du sable jusqu'à l'ambre.