Chacun de ces hommes a constamment sous les yeux des cadrans indicateurs, des oscilloscopes, des écrans de télévision, qui lui font connaître seconde par seconde l'état de l'organe dont il est responsable, la valeur de la mesure qu'il doit contrôler. Des consoles devant lesquelles ils sont assis partent d'invisibles conducteurs qui, par milliers, relient la salle de contrôle à la plate-forme de lancement. Certains de ces fils grimpent par une tour et, groupés dans des cordons ombilicaux, aboutissent aux connecteurs qui les maintiennent branchés sur le flanc de la fusée. Tout à l'heure, quand les cordons seront coupés, la fusée deviendra un corps céleste autonome, ayant sa vie propre.

La chronologie, comme on dit en recherche spatiale, se poursuit dans cette salle de contrôle depuis le 11 juillet. Inlassablement, quelqu'un égrène les questions inscrites dans l'interminable check list, et le responsable intéressé, après avoir fait la vérification correspondante, doit donner le feu vert pour ce qui le concerne. À l'approche du lancement, on scande les dernières séries de questions. En fonction des réponses, les décisions se traduisent en ordres. Dans les derniers instants, ces ordres échappent au jugement humain : ils sont donnés par des automates. Un homme dans la salle, pourtant, a l'index sur un bouton ; il peut tout arrêter.

Depuis 7 h 2 mn (heure locale), les trois astronautes ont pris place dans la cabine Apollo, où, pendant deux heures et demie, ils seront virtuellement dans l'espace sans avoir quitté pour autant la Terre. Dans leur capsule solitaire perchée à 130 m du sol, sur cet énorme crayon de 10 m de diamètre qu'est le lanceur Saturn V, ils vivent déjà isolés de la planète, dans une micro-atmosphère artificielle.

Tonnes de vapeur

À neuf heures et demie, les regards se portent vers la fusée, d'où s'échappent de légères vapeurs blanchâtres (causées par la condensation des ergols qui s'évaporent des réservoirs). Peu après c'est la fin du compte à rebours : l'homme du centre de contrôle n'ayant pas appuyé sur son bouton rouge, c'est aussi le point de non-retour. Quelques secondes plus tard, les moteurs grondent et d'épaisses nuées se développent à la base de la fusée. Ce sont des tonnes de vapeur, car des trombes d'eau — 36 m3 par minute — se déversent sur la plate-forme de lancement pour éviter sa destruction par l'énergie colossale que soufflent les moteurs du lanceur. Enfin lâchée par les crochets qui la retenaient à la Terre, la fusée Saturn V, dont la masse égale celle d'un croiseur léger, s'élève lentement pour accomplir sa mission AS-506. Il est 9 h 32 mn au cap Kennedy et 14 h 32 mn en France (désormais, c'est l'heure française qui servira de repère).

Pratiquement, la tâche des équipes du cap Kennedy ne s'achèvera qu'après la satellisation autour de la Terre du dernier étage du lanceur (nous l'appellerons dorénavant l'étage S-IV B), mais déjà leur rôle s'efface devant celui du Manned Spacecraft Center, situé à 1 300 km de là, à Houston (Texas), où se trouvent les responsables de la mission Apollo. C'est là qu'aboutissent les liaisons qui permettent de suivre constamment le vaisseau spatial, par l'intermédiaire d'un réseau de 14 stations fixes qui ceinture le monde et dont les maillons terrestres sont complétés par quatre navires et huit avions spécialement aménagés.

Suivre le vaisseau, c'est connaître constamment non seulement sa position et sa vitesse, mais aussi le résultat de nombreuses télémesures allant de la pression des réservoirs au rythme cardiaque des astronautes (on saura, par exemple, que, lors de la satellisation, ce rythme sera de 110, 99 et 88 battements par minute respectivement chez Armstrong, Collins et Aldrin). Les ingénieurs et les médecins, à Houston, connaîtront pendant toute la durée de la mission l'état des divers organes et équipements de l'appareil, mais aussi l'état de santé de l'équipage, mieux que les astronautes eux-mêmes. Cela pour être constamment à même — à l'aide d'ordinateurs — de prendre sur-le-champ les mesures appropriées, de donner des ordres aux astronautes et, le cas échéant, de procéder par télécommande. Enfin, ils avaient la tâche importante d'aider l'équipage à accomplir sa mission en détail et de le soutenir moralement pendant la durée de l'aventure.

Premier feu vert

À 14 h 43 mn 40 s, Apollo 11, formant un bloc avec l'étage S-IV B, est satellisé à 183 km du sol. Sa vitesse est alors de 28 000 km/h. Le séjour sur cette orbite d'attente offre une première occasion de renoncer à la mission si quelque défectuosité accidentelle surgissait. Aussi, pendant que l'engin tourne autour de la Terre, tout est soigneusement vérifié, par les astronautes eux-mêmes et par les moyens de télémesure dont dispose Houston. En même temps, l'orbite est calculée avec une extrême précision afin de déterminer l'impulsion qu'il sera nécessaire d'imprimer à l'engin et l'instant précis où il faudra l'injecter sur sa trajectoire lunaire.