Ce qui, en France, apparaît comme un phénomène sans doute fâcheux, mais habituel, a donc été ressenti aux États-Unis comme un véritable tremblement de terre. Toutes les valeurs s'en sont trouvées bouleversées et l'on se demande sérieusement si les Américains retrouveront jamais, après cette crise, les comportements qu'ils avaient avant.

À quoi attribuer cette brutale poussée de fièvre inflationniste dans tout l'Occident ? Il convient de distinguer les causes générales des causes spécifiques. Il est bien évident que des événements comme ceux du printemps 68 en France et de l'automne 69 en Italie ne peuvent pas rester sans conséquence sur le niveau des prix. Les hausses de salaires qui en résultent conduisent à la hausse des prix de deux façons : d'une part, elles tirent les prix en provoquant un brusque accroissement de la consommation, auquel la production ne peut pas immédiatement répondre ; d'autre part, elles les poussent, en renchérissant les coûts de production pour les entreprises.

Les dévaluations monétaires, qui sont des constats de perte de compétitivité, engendrent aussi de nouvelles hausses de prix ; on l'a observé en Grande-Bretagne en 1968 et en France fin 69 et début 70. Au Japon, le rythme véritablement hallucinant de la croissance économique (de 10 à 15 % par an, c'est-à-dire deux à trois fois plus vite qu'ailleurs) pouvait difficilement se prolonger sans provoquer de fortes tensions sur les prix. Il est à noter, toutefois, que la monnaie japonaise, le yen, n'en a pas souffert pour autant. À première vue, cela paraît paradoxal : partout ailleurs, la hausse des prix fait peser une menace de dévaluation ; or, au Japon, il a été question plutôt d'une éventuelle réévaluation du yen. Incohérence ? Pas nécessairement. L'agressivité commerciale des firmes japonaises à l'étranger a plus que compensé, jusqu'à présent, les effets des hausses de prix intérieurs sur la balance commerciale du pays.

En outre, le rythme de croissance de l'économie japonaise a attiré vers elle de nombreux capitaux étrangers, qui ont fourni des réserves supplémentaires de devises.

Le cas des États-Unis mérite un examen particulier, car le rôle d'économie dominante joué par ce pays fait que ce qui lui est, en apparence, spécifique comporte, en fait, des conséquences pour le reste du monde.

L'inflation américaine trouve sa source dans la guerre au Viêt-nam et dans le système monétaire international. À partir du moment où les Américains ont voulu démontrer qu'ils étaient assez puissants pour produire à la fois du beurre et des canons, c'est-à-dire faire la guerre sans avoir une économie de guerre, ils ont pris le risque de l'inflation. Et celui-ci s'est développé sans entrave, puisque les États-Unis constituent le seul pays au monde qui peut avoir, en permanence, un déficit dans ses échanges avec l'étranger. Partout ailleurs, un tel déficit entraîne soit une dévaluation, soit de rigoureuses mesures d'austérité. Pas aux États-Unis. En effet, ceux-ci ont le privilège de régler leurs créanciers étrangers avec leur propre monnaie, le dollar, et non pas avec des devises étrangères ou de l'or. Le dollar joue, en effet, à cause de la position d'économie dominante de l'économie américaine, le rôle d'une monnaie mondiale. Ce privilège exorbitant comporte quelques avantages pour celui qui en bénéficie, mais aussi certains inconvénients. En premier lieu, celui de le priver d'un système d'alerte. Pour tous les pays, la peur du déficit extérieur est le début de la sagesse, sauf pour les États-Unis.

Contamination mondiale

L'inflation américaine, engendrée par le déficit budgétaire, dû lui-même à la guerre au Viêt-nam, s'est nourrie d'une masse monétaire en croissance rapide jusqu'en 1969. À ce moment-là, seulement, les autorités ont réagi vigoureusement. Mais cela ne pouvait pas enrayer rapidement la hausse des prix. Les créanciers avaient fini par comprendre qu'ils devaient exiger des taux d'intérêt beaucoup plus élevés de la part des emprunteurs, et les syndicats qu'ils devaient revendiquer des hausses de salaires beaucoup plus fortes de la part des entreprises.