On signalait l'année dernière le soudain regain de faveur d'un auteur qui avait surtout travaillé pour les autres, Georges Moustaki. Son Métèque, interprété à fleur de cœur, d'une voix voilée de mélancolie, aura intensifié son succès des mois durant sans désemparer : probablement la plus grosse vente de l'année. On a en profité pour represser des enregistrements anciens : Nevada, Eldorado et la jolie ballade Mon île de France. Parmi ses nouvelles chansons : Ma solitude et son Gaspard sur le poème de Verlaine.

Les nouveaux venus

Parmi les nouveaux talents, on peut citer Michel Sardou, les Bals populaires ; Roger Whittaker, Mon pays bleu ; Séverine, la Mélodie ; Michaële, Comment existe-t-il des guerres ? Béa Tristan, les Mauvaises Manières. Le jeu de la chance à la télévision a fait triompher cinq semaines de suite la jeune Dominique Dussault, toute ferveur et pureté et qui semble commencer une belle carrière (Ave Maria, Rien qu'une valse). Passée en vedette américaine dans le spectacle Moustaki à Bobino, Catherine Le Forestier a sorti simultanément son premier microsillon : chansons à elle — seule ou en collaboration — qui expriment avec la franchise saine des demoiselles d'aujourd'hui la grâce de vivre en état de jeunesse (la Chambre rouge, l'Amour avec lui).

Parmi les valeurs qui montent — ou qui reviennent après un premier départ plus ou moins discret —, on doit mentionner Guy Bontempelli, la Trentaine ; le Canadien Claude Léveillé, Maintenant je repars ; un autre Canadien, Gilles Vigneault, Mon pays, Mon bateau et mon quai ; Jacques Debronckart, J'suis heureux, Chambre d'hôtel ; Michel Legrand, très occupé par ses musiques de films aux USA, mais qui nous redonne un nouveau 30 cm de chansons, dont Paris violons et les Moulins de mon cœur ; Gilles Dreu s'impose par sa fougue, Jean Vasca par un microsillon riche de vraie poésie, Serge Lama par un tour de chant robuste.

Les aînés

Les grands vivent sur leur lancée. Léo Ferré a touché un vaste public avec les couplets bien écrits de C'est extra. Georges Brassens avait fait retraite : il a empli la salle de Bobino trois mois durant, d'octobre à début janvier. Ses nouvelles chansons sont toujours de la même veine. Elles font l'objet de son dixième microsillon : Misogynie à part, Bécassine, Pensée des morts, Rien à jeter et les truculents couplets de l'Ancêtre. Période de pause pour Aznavour (qui n'a accepté que six représentations à Paris) et pour Bécaud. Guy Béart, bien de ce temps, mélange malicieusement science et érotisme dans la Vénus mathématique. Jean Ferrat reste un interprète et un auteur très personnel avec Sacré Félicien, la Cavale. Jacques Bref oublie pour un temps la chanson et devient conteur avec Pierre et le Loup, de Prokofiev, et l'Histoire de Babar, sur une musique de Poulenc. Les carrières des grandes dames de la chanson se sont poursuivies sans à-coups. Si Barbara s'éloigne du tour de chant proprement dit pour jouer la comédie musicale, Nana Mouskouri reste fidèle à elle-même, à son répertoire qu'elle interprète avec son aérienne souplesse : Mon enfant, Dans le soleil et dans le vent. Régine est présente avec sa verve. Marie Laforêt plaît tant au music-hall qu'à la Tête de l'Art. Rika Zaraï, remise des suites d'un grave accident, affronte de nouveau la scène et impose Alors je chante et Balapapa. Juliette Gréco, discrète, prouve qu'elle soigne toujours la qualité, chantant les poètes mis en musique par Yanni Spanos : l'Eluard d'Amour ou le Desnos des Roses de Bagatelle. Nicoletta chante Ma vie est un manège et Mireille Mathieu l'Amour de Paris. Isabelle Aubret détaille délicatement Six Feuilles mortes de San Francisco, la belle romance de Mouloudji. L'âpre répertoire de Bert Brecht-Kurt Weill a été à l'honneur, tant par les enregistrements de l'extraordinaire chanteuse allemande Gisela May que par les adaptations de Pia Colombo.

La pop'music déferle sur l'Europe

Restée jusque-là un phénomène purement anglo-saxon, la vague de la pop' music déferle en 1969 sur le continent européen. Le Vieux Monde découvre le bouillonnement musical qui, d'Elvis Presley à Bob Dylan, en passant par les Beatles, agite depuis quinze ans les États-Unis et l'Angleterre. Non sans réticences, la France connaît à son tour les grandes fêtes pop et leurs rites.