L'opérette traditionnelle se maintient tant bien que mal. Les aînés de la chanson à voix ont gardé leurs fidèles. Luis Mariano fait voguer la Caravelle d'or au Châtelet et sa maison de disques publie l'intégralité de ses opérettes en deux albums. À Mogador, Tino Rossi est la vedette du Marchand de soleil, qui mêle à de vieux succès, comme Sous les ponts de Paris et Petit Papa Noël, des airs nouveaux signés Rossi fils. Mais le renouvellement vient du théâtre Marigny, qui offre la transposition d'une comédie musicale américaine d'inspiration yiddish, Le violon sur le toit, de Jérôme Robbins, l'auteur heureux de West Side Story. Dans un climat de légende à la Chagall, Ivan Rebroff s'épanouit avec truculence dans les couplets vite célèbres de Ah ! si j'étais riche ! Autre implantation d'un spectacle d'outre-Atlantique, mais typiquement représentatif de la jeune mentalité américaine : le show musical Hair, de Ragni et Rado. Grande fête sauvage de la revendication hippie, qui ne ressemble guère à ce que l'on était accoutumé à trouver au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Les airs de la jolie partition de McDermot se répandent sur les ondes et jusque dans les enregistrements d'accordéon (Gus Viseur et Bruno Lorenzoni familiarisent le public des danseurs avec le thème d'Aquarius, hommage au signe zodiacal du Verseau et à son symbole d'amour).

Mais, là encore, nous sommes dans une salle avec une scène et des spectateurs. Le désir d'autre chose a éclaté, en 1969, dans les rassemblements monstres de Bethel aux USA, de Hyde Park et de l'île de Wight en Angleterre, d'Amougies en Belgique. En France, le premier festival de musique pop a eu lieu pendant le week-end de Pâques 1970 au Bourget. Il y a dans ces rassemblements la quête d'un rituel, le désir de communier dans une immense fête de la fraternité.

En tête des hit-parade, la Venus des Shocking Blue, It's five o'clock des Aphrodite's Child, l'arrangement sur le thème de la Ve Symphonie de Beethoven des Ekseption, le thème nostalgique de Il était une fois dans l'Ouest d'Ennio Morricone, le Let it be des Beatles, toujours présents (Life a consacré la couverture de son premier numéro de l'année aux personnalités marquantes des années 60 ; les Beatles y figurent en bonne place). Toutefois, le public ne se contente plus des seuls disques d'importation, et des succès apparaissent dans ce secteur jeune chanson par des artistes français : Adieu, jolie Candy par Jean-François Michael, Chimène par René Joly, Comme un étranger dans la ville, bonne adaptation de Everybody's talkin', par Gilles Marshall. Dans Wight is wight, Michel Delpech donne le ton de la nouvelle morale :
As-tu le droit de condamner
Celui qui cherche à s'évader ?
Chacun mène sa vie comme il veut...
Le groupe français des Martin Circus s'inscrit dans la lignée des ensembles anglo-saxons, mais chante des œuvres originales en français : Moi, je lis les bandes dessinées, le Matin des magiciens.

Au niveau des grands

Dans le secteur moderne, un Serge Gainsbourg reste un des auteurs-interprètes les plus originaux. Musicalement, il gagne à tout coup et, avec les paroles, sa souveraine indépendance et son mépris de tous les tabous lui valent d'obtenir le succès avec la chanson la plus scandaleuse de l'année : Je t'aime, moi non plus !, dialoguée et soupirée en compagnie de Jane Birkin. Un Michel Polnareff, d'autre part, a accédé au niveau des grands : son spectacle à l'Olympia prouva qu'il était soucieux de qualité, tant dans ses improvisations jazz que dans les nouvelles chansons de son répertoire : Dans la maison vide, Tous les bateaux, tous les oiseaux, la Michetonneuse.

Le titre d'idole n'est plus de mode. Les chanteurs et chanteuses devenus vedettes par la grâce du yéyé ont évolué et chacun poursuit désormais son propre chemin dans un style plus personnel. Si Johnny Hallyday s'est maintenu avec un Que je t'aime ! hurlé par tous les pick-up de l'été, et si Claude François a payé cher l'état de tension dans lequel il se présentait en scène pour Tout éclate, tout explose, Richard Anthony joue la douceur, Françoise Hardy murmure Soleil, je t'aime et Sylvie Vartan donne dans la fantaisie narquoise avec Si j'étais général. Sheila fait des claquettes dans Oncle Joe et retrouve l'esprit du calypso avec Il est tellement jaloux. Adamo nous donne rendez-vous À demain sur la Lune et a fredonné avec succès Petit Bonheur.

Les grosses ventes

Bien qu'il ait célébré le Chemin de papa, ce n'est pas la carrière de cinéaste qu'a choisie Joe Dassin. Celle de chanteur lui est des plus favorables, il accumule les succès. Sur les plages de l'été 1969, on ne chantait pas la mer, mais, curieusement, les Champs-Élysées, C'est la vie, Lily et Billy le Bordelais.