On fait tout de même appel à quelques-unes des valeurs sûres de la maison : Jean Kerchbron (les Eaux mêlées et la Chandelle), Pierre Cardinal (le Désert de l'amour), Claude Loursais (Sainte Jeanne), Marcel Cravenne (le Lys dans la vallée), et on monte quelques grandes machines littéraires comme les Frères Karamazov (Marcel Bluwal, avec Pierre Brasseur). Les mardis sont réservés à des dramatiques guindées, dont un critique écrit justement : « Si elles n'étaient pas en couleurs, elles seraient invisibles à force d'ennui distingué » (Reportage sur un squelette, À contre-soleil, les Violettes, la Princesse d'Elide, Isabelle, les Petits Soldats). Une réussite : Le chien qui a vu Dieu, d'après Buzzati, avec Jean Bouise, tourné par la station régionale de Marseille.

« Jacquou le Croquant »

À mi-chemin entre la grande dramatique populaire filmée et le feuilleton, Jacquou le Croquant, d'Eugène Le Roy, mis en scène par Stellio Lorenzi, tourné en couleurs et diffusé en noir et blanc, déchaîne les passions bien au-delà des frontières du Périgord noir et suscite trois procès successifs. Le tournage des six épisodes a nécessité le concours de plus de 200 comédiens et l'engagement de gros moyens techniques et financiers. En octobre 1969, dans son rapport établi au nom de la commission culturelle de l'Assemblée nationale, François Gerbaud cite le chiffre de 1 523 924 F. Une grande fresque filmée — Illusions perdues — avait, en 1966, connu son heure de succès : elle est à nouveau diffusée en août. D'Artagnan, avec Dominique Paturel, François Chaumette et Antonella Lualdi, est présenté en quatre époques, à la fin de l'année.

Les feuilletons étrangers avec leurs héros stéréotypés ont cessé de passionner. Des séries qui firent recette sont reprises : le Virginien, le Saint, Des agents très spéciaux, les Mystères de l'Ouest, Chapeau melon et bottes de cuir. Un peu comme si on se savait incapables de trouver des créations originales, on utilise, dans les productions françaises, d'anciens auteurs et d'anciens personnages, espérant ainsi susciter à nouveau l'enthousiasme des années passées. Thibaud (avec André Laurence), le Trésor des Hollandais (d'Odette Joyeux), Sébastien et la « Mary-Morgane » (avec Mehdi), les Chevaliers du ciel (avec Jacques Santi et Christian Marin) ne trompent personne. L'Odyssée, supercoproduction à l'échelle européenne, n'enthousiasme qu'un public restreint : celui de la télévision-couleur.

Sept films par semaine

Le genre qui remporte invariablement tous les suffrages reste le film de long métrage. L'ORTF en diffuse en moyenne sept par semaine, dont trois chaque dimanche, et il est toujours des téléspectateurs pour en réclamer davantage. Cette réaction est décevante pour ceux qui veulent croire à la télévision comme moyen d'expression intrinsèque. Elle est réconfortante pour ceux qui sélectionnent les films et font preuve, compte tenu des impératifs — l'aspect financier n'est pas des moindres —, d'une réelle volonté de qualité. Regroupés par genre, les longs métrages réussissent maintenant à satisfaire à peu près tous les publics (Festival Jean Cocteau, Festival du Western, Festival du jeune cinéma brésilien, Cycle de littérature américaine, Cinéma d'auteur). Le dimanche est réservé aux films populaires et visibles en famille, et la tranche horaire du lundi après-midi est destinée aux téléspectateurs retenus à leur domicile.

En marge du cinéma, les émissions sont nombreuses Cinéastes de notre temps, Thèmes et variations, le Petit Cinéma, Visages du cinéma. Créé en juillet, Au cinéma ce soir évoque le grand écran des années 1935-1945. À l'aide d'un long-métrage (la Kermesse héroïque, Boule de Suif, Premier Rendez-vous, le Schpountz, les Musiciens du ciel) et de bandes d'actualités, il s'agit de reconstituer l'atmosphère d'une époque. Les Dossiers de l'écran (le Grand Cirque, l'Odyssée de Charles Lindbergh, Benny Goodman Story, Anastasia, Septembre 39, Gandhi, Lénine en 1918, M le Maudit, Pasteur, Nous sommes tous des assassins) soulèvent toujours les mêmes controverses. La formule, qui a survécu à tous les changements de direction et de politique des programmes, connaît le succès depuis avril 1967. Mais la même équivoque subsiste quant aux rapports entre le film et le débat.

Paradoxe des variétés

Côté variétés, Chansons et Champions finit avec l'été et la Piste aux étoiles poursuit sa longue carrière. Après Music-Album, Musicolor tient l'affiche de longs mois. Paradoxalement, la production en est longtemps signée du nom du directeur adjoint du service des variétés, Lucien Jolivald. La qualité est inversement proportionnelle au budget investi. Podium 70 prend le relais au printemps. Mais, autre paradoxe, le service des variétés n'a pas droit de regard sur des émissions comme Télé-Dimanche et Midi-Magazine, qui dépendent, l'une du service des sports (Raymond Marcillac), l'autre d'Information-Première (Pierre Desgraupes). En cours d'année, on redécouvre la télévision des années 50 et c'est le retour à la Joie de vivre d'Henri Spade (Serge Reggiani, Pierre Tchernia, Colette Besson, Me Floriot, Jean Yanne). La qualité de l'Invité du dimanche dépend essentiellement de la personnalité choisie (Maurice Genevoix, Ludmilla Tchérina, Eva Ruchpaul, Louis Leprince-Ringuet, Pierre Clostermann). La série se termine en juin.