Ou bien il confie le port d'une bombe H à des missiles sol-sol d'une distance supérieure à 8 000 km (les engins implantés en haute Provence après 1971 auront une portée de 2 000 km et une charge militaire de 200 kt). Ou encore il décide de lancer plusieurs sous-marins à propulsion nucléaire et équipés de missiles améliorés (en 1972, le premier de ces submersibles, le Redoutable, sera doté d'engins de 2 500 km de portée avec une bombe de 500 kt). Ou, enfin, le gouvernement choisit de combiner le missile sol-sol à longue distance et la flotte de sous-marins : mais il s'agit d'une solution onéreuse.

Marins contre aviateurs

Au même moment, l'École supérieure de guerre navale rend public un rapport qui revendique la responsabilité, pour la marine nationale, des missions stratégiques à longue distance. Ce texte ouvre une controverse avec l'armée de l'air qui préconise des missiles sol-sol à longue portée.

Les restrictions

La thèse des marins paraît avoir l'assentiment du général de Gaulle, qui, le 26 janvier 1969, déclare, devant les auditeurs de l'École militaire : « La mer est un refuge, une source de productivité et constituera peut-être la sauvegarde de l'humanité de demain ».

Entre la marine et l'armée de l'air, la querelle cessera néanmoins avec les restrictions budgétaires qui frappent les dépenses militaires au début de 1969. En décidant de consacrer 25,9 milliards de francs à la défense nationale (contre 25 milliards en 1968), le gouvernement accepte de réviser sa politique d'équipement militaire et d'étaler ses dépenses pour l'armement nucléaire.

Coopération bilatérale

C'est ainsi que, en dépit de la réussite des tirs nucléaires durant l'été 1968, le ministère des Armées est contraint d'annuler sa campagne d'essais en 1969. La mise au point des charges nucléaires et de leurs missiles prend du retard sur les prévisions de la loi-programme d'équipement à long terme. La préparation des systèmes d'armes nécessitant une miniaturisation de la bombe H est différée. Non seulement la fabrication des matériels classiques est étalée dans le temps, voire parfois abandonnée, mais l'armement nucléaire subit un retard d'un à trois ans sur les prévisions. L'écart se creuse avec l'étranger.

Cette constatation incline des responsables militaires de haut rang à proposer de s'engager dans la voie d'une coopération bilatérale avec les États-Unis, afin de bénéficier de leur colossale avance en matière nucléaire. Le 3 mars 1969, le général Fourquet lui-même, dans une conférence à l'Institut des hautes études de la défense nationale, amorce un rapprochement avec les principes stratégiques de l'OTAN. Il admet, en particulier, que des « actions graduées » puissent précéder et préparer la « frappe stratégique ». Il évoque « cet ennemi de l'Est » contre lequel les divisions françaises seraient engagées en « coordination étroite » avec leurs alliés.

Nombreux sont les observateurs qui notent alors une évolution importante de la politique militaire de la France.

Embargo au Moyen-Orient

Le général de Gaulle décrète, le 3 janvier 1969, un embargo sur toutes les armes françaises à destination de quatre pays du Moyen-Orient : Israël, Syrie, Jordanie et Égypte. En fait, cette mesure vise essentiellement l'État d'Israël, qui a commis un audacieux coup de main sur l'aéroport international de Beyrouth, le Liban étant accusé d'accueillir des commandos palestiniens. Cette décision est vivement critiquée, notamment dans les milieux militaires et industriels, en France.

L'armée israélienne est de loin le principal client des industriels français de l'armement. Pour les seules commandes de matériels aéronautiques, le gouvernement de Jérusalem a dépensé l'équivalent de 3 milliards de francs durant les huit dernières années et on lui prêtait l'intention, avant l'embargo, d'acheter en France pour une somme analogue dans les cinq années à venir. Depuis l'arrêt des livraisons américaines en 1956 tant au Caire qu'à Tel-Aviv, les constructeurs français d'armements aériens et terrestres avaient acquis en Israël un monopole de fait.