Guerre et paix au café Sneffle, du même Remo Forlani, est un spectacle plus agressif, et quelque peu célinien, merveilleusement servi par Jean-Pierre Marielle, sous la direction de Georges Vitaly. Remo Forlani a sûrement plus de deux idées en tête. Il est probable que nous le retrouverons bientôt. On hésite à classer dans cette rubrique la pièce d'Oscar Panizza (mort en 1921), le Concile d'amour, qui a fait scandale au théâtre de Paris. Panizza était un Allemand demi-fou, dont la pièce, pleine d'audaces à moitié abouties, peut passer pour sacrilège si on s'arrête au sens littéral des mots. On peut aussi l'entendre comme un acte de folie mystique, au sens espagnol du mot, où la haine et l'amour de Dieu sont confondus. Lavelli, dans d'admirables décors et costumes de Leone Fini, a signé un fort beau spectacle.

Enfin, le grand émerveillement est venu d'un Anglais, Arnold Wesker. Avec les Quatre Saisons on a assisté à ce miracle, au cœur d'une époque machiniste et programmée : un couple, toute une soirée, parle de son amour le long du temps. Nicole Courcel et Claude Rich, avec un art et une tendresse que l'on croyait oubliés, ont joué ce texte devant des publics jeunes, fervents.

Théâtre de demain

L'avenir ressemblera-t-il aux meilleures réussites de cette saison ? Il semble que non. Il n'est que de prêter attention à ce qui se fait dans les communes hors de Paris, ou au Festival mondial du théâtre de Nancy, ou à Avignon, ou dans ce qui subsiste des maisons de la culture. Nous allons, de plus en plus, vers un théâtre de création collective. Les tenants du théâtre d'auteur pour théâtres à l'italienne peuvent ricaner, et ne s'en privent pas, en parlant de « non-textes » pour « non-publics ».

Il demeure qu'une compagnie comme le Théâtre du Soleil, dirigé par Ariane Mnouchkine, après les succès retentissants de la Cuisine, d'Arnold Wesker, et du Songe d'une nuit d'été, a senti le besoin de vivre en phalanstère de longs mois avant de produire les Clowns au théâtre de la commune d'Aubervilliers. Spectacle sans auteur, mais mûri, calculé, exercice de virtuosité par plusieurs au service d'une seule conception : la réussite est évidente.

Un peu partout, en France, au moment même où les directeurs de théâtres privés parlent d'abandonner un art que l'État écrase de taxes, il se crée des troupes, à mi-chemin entre la troupe d'étudiants, de comédiens inachevés, et le système commercial traditionnel, qui éprouvent la nécessité de vivre le métier d'acteur en même temps que la vie.

Ils ne veulent plus jouer des textes, car ils n'en voient pas qui correspondent à leur vie d'aujourd'hui. Ils rêvent de rencontrer le public en des lieux inédits, de jouer sous des préaux d'école, dans des cours d'usine, sur des places de marché, un peu à l'image de l'admirable troupe du Bread and Puppet, révélation du Festival de Nancy. Ils rêvent de montrer au public et sa réalité (sociale, politique) et son devenir possible, qui n'exclut pas l'art, loin de là.

Ce retour aux mystères du Moyen Âge, sans la religion, ou bien à la farce de tréteaux, devrait inspirer peu à peu ceux de nos auteurs qui voient bien leur avenir fermé sur les scènes habituelles. Le problème, là comme ailleurs, est un problème d'argent. Ou bien l'État laissera les théâtres urbains se débattre dans ce que l'on appellera « la crise du théâtre », en refusant de voir que le théâtre revit ailleurs ; ou bien on tentera de canaliser les énergies nouvelles et de donner le maximum de chances à une jeunesse pour qui le théâtre est une nourriture irremplaçable. Cette jeunesse existe, elle est exigeante, elle ne s'estime pas comblée par de coûteux gadgets comme Hair, mis en scène par Bertrand Castelli, et qui nous est venu de New York. Une chose est de laisser un jeune théâtre grandir, une autre est de le récupérer au moindre cri, pour le couvrir d'or.

Une solution

Les lieux scéniques ne manquent pas, à Paris même et ailleurs. Il suffirait de les modifier légèrement, d'admettre que le théâtre n'a pas lieu forcément à 21 h et à 36 F le fauteuil. Il suffirait de créer, d'abord à Paris, deux ou trois théâtres ouverts, de les subventionner et d'y laisser la liberté à une quarantaine de troupes qui s'y succéderaient. Pour voir les Clowns, il faut aller à Aubervilliers. Paris n'a pas vu le Dom Juan monté par Chereau. Les Anglais et les Italiens ont vu la Bérénice de Racine montée par Planchon. Un public très clairsemé a trouvé le chemin du théâtre du Jardin, à la Cité universitaire, pour écouter les admirables Récits bouddhiques proposés par Jean-Marie Patte. C'était là, pourtant, une soirée envoûtante, pure, parfaite. Au théâtre, comme ailleurs, la vraie vie serait-elle... ailleurs ?