Charles Trenet sert son répertoire à la carte aux spectateurs ravis du Théâtre de la Ville, tandis que Barbara, à l'Olympia, donne la preuve que ses confidences en noir et blanc pouvaient toucher un public nombreux et populaire, et non pas seulement les afficionados des cabarets. Ses anciennes chansons : Nantes, la Solitude, plaisent et aussi les nouvelles : le Soleil noir, Gueule de nuit, Du bout des lèvres.

Belles et graves

Jacques Brel avait annoncé, pour sa part, qu'il renonçait au music-hall, mais c'est pour nous donner son émouvante interprétation de l'Homme de la Mancha, dans l'adaptation dont il est l'auteur et dont on connaît l'air le plus célèbre : Rêver un impossible rêve. Sur le plan du disque, il est toujours présent avec ses véhémences et ses grands cris du cœur : Regarde bien, petit, la pochade Vesoul au titre très court et qui se trouve accolée sur un disque à une chanson au titre très long : Comment tuer l'amant de sa femme quand on a été élevé comme moi dans la tradition.

Guy Béart, qui avait lancé avant l'été 68 les belles chansons graves que sont la Vérité et Couleurs, s'adresse avec humour aux jeunes contestataires dans Chahut-Bahut et nous propose plus tard un deuxième album de Nouvelles très vieilles chansons de France.

Les jours de mai ont inspiré à Jean Ferrat la chanson Au printemps, à quoi rêves-tu ? Il se plaît aussi à chanter joliment Ma France et à montrer aussi qu'il sait rire dans l'Idole à papa, où il imite à merveille Tino Rossi chantant ses propres succès à lui, Ferrat !

Autres grands du tour de chant, les interprètes : Yves Montand, la perfection dans tous les styles, qu'il s'agisse de la badinerie de l'Idylle phénoménale ou de la poésie de Dans ma maison, de Prévert, et de l'Étrangère, d'Aragon ; Serge Reggiani, qui émeut dans la Maumariée et fait rire avec son Homme fossile ; Juliette Gréco avec Peut-être que et le Roi misère ; Catherine Sauvage ; Nicoletta, avec Une enfance et Luxembourg ; triomphe de Nana Mouskouri, avec Je me souviens, Roule, s'enroule, et qui chante désormais en toutes les langues.

Passion contenue

Alain Barrière dans Pauvre François annonce ironiquement qu'il se met à l'anglais, car il a peur qu'on ne le comprenne plus en français. Dans V..., il évoque le drame de cette guerre avec une passion contenue et une pudeur qui ne nomme rien ni personne, mais prend l'allure d'un beau et tragique symbole.

Adamo, lui, reste le gentil troubadour qui avait enchanté les vacances 68 avec sa jolie Valse d'été ; il trouve des accents dignes des Chansons des rues et des bois pour nous raconter la Vieille, l'idole et les oiseaux. Sur des musiques de Garvarentz, Charles Aznavour célèbre l'Amour et la Lumière. Anne Sylvestre reste fidèle à son inspiration douce-amère : Tu es la terre, Mousse, Même pas un coup de cœur.

Le Bécaud de l'Olympia nous apporte son lot de chansons nouvelles, où alternent frénésie, gaieté et émotion : Monsieur Winter, Mon grand-père le militaire, les Créatures de rêve.

On voit au printemps 1969 les murs de Paris se couvrir d'affiches immenses de Johnny Hallyday. C'est pour annoncer au Palais des Sports un spectacle total qui déchaîne le tintamarre le plus fracassant avec guitares tonitruantes, canons bombardant du pop-corn sur les fidèles et orgues de Staline expédiant dans les rangs les plus éloignés trompettes et crécelles. Entre les ballets et des rounds de boxe éclatent, non moins violentes, des chansons : Je n'ai besoin de personne et Je suis dans la rue.

Mme Hallyday, de son côté, a beaucoup travaillé, et nul désormais ne niera le talent de Sylvie Vartan quand elle chante On a toutes besoin d'un homme ou la Maritza. Françoise Hardy évolue vers l'humour dans Étonnez-moi, Benoît, et Serge Gainsbourg la fait jongler avec des mots en ex dans son adaptation de Comment te dire adieu.

Nouveautés

Sûre ascension des talents de George Chelon (Peut-être que peut-être et Évelyne), de Serge Lama (les Ballons rouges, Le 15 juillet à 5 heures), de Michel Delpech (Les hirondelles sont parties), de Jehan Jonas, l'auteur de Comme dirait Zazie, de Graeme Allwright, le Néo-Zélandais (Je perds ou bien je gagne) ; Georges Moustaki revient, sur les registres de la satire aimable (le Métèque) et du lyrisme sans littérature (Il est trop tard).