Attaqué violemment à plusieurs reprises par des gaullistes, et en particulier, à la fin de décembre 1968, par le Comité de défense de la République (CDR) de Dijon, Edgar Faure réplique et obtient la caution du chef de l'État, du Premier ministre et des dirigeants de l'UDR. Il n'en est pas moins conduit à donner plus souvent qu'il ne l'aurait souhaité la priorité au rétablissement de l'ordre sur les réformes. Son départ du ministère de l'Éducation nationale, après l'élection présidentielle, marquera un tournant à la fois dans sa propre attitude politique et dans l'orientation de l'action gouvernementale.

La crise monétaire

Séquelles de mai aussi en matière économique, sociale et bientôt monétaire. À vrai dire, on discutera longtemps sur le point de savoir quelle fut la part exacte des grèves du printemps 1968 et de leur conclusion dans l'essoufflement de l'économie et l'embolie de la monnaie. Jusqu'à l'élection présidentielle, la thèse gouvernementale — affirmée en maintes occasions par le général de Gaulle lui-même et en particulier dans sa traditionnelle allocution du 31 décembre — était que l'interruption de la production, puis la large révision des salaires accordée à Grenelle étaient seules à l'origine de toutes les difficultés ultérieures.

Dès l'été 1968, en tout cas, les prix s'élèvent : l'essence, le gaz, l'électricité, le téléphone augmentent. Le contrôle des changes, cependant, qui avait été établi en juin, est supprimé dès le 4 septembre. Mais, tandis que s'engage l'examen du budget, une vague de spéculation sur le deutsche mark et une défiance croissante à l'égard du franc se font jour. Le gouvernement hésite, réagit faiblement en restreignant un peu le crédit, puis doit fermer la Bourse le 20 novembre, tandis que s'engage à Bonn une conférence monétaire internationale.

Le 23, un Conseil des ministres extraordinaire est convoqué et chacun — y compris le Premier ministre et la plupart des membres du gouvernement — s'attend qu'il fixe le taux d'une dévaluation qui paraît scellée. Coup de théâtre : le général de Gaulle refuse l'amputation de la monnaie et fait adopter un programme de redressement comprenant des mesures immédiates, comme le rétablissement du contrôle des changes et une stricte limitation des exportations de devises, et d'autres d'ordre législatif, visant notamment la réduction du déficit budgétaire, qui seront soumises au Parlement le 26. Parallèlement, la réglementation des prix est renforcée, mais les indices continueront leur marche ascendante. Néanmoins, les successifs rendez-vous sociaux de novembre, de mars, puis de juin, se dérouleront sans graves incidents, en raison de la conjoncture référendaire, puis électorale.

La crise monétaire aurait-elle pu être évitée par une dévaluation à taux faible intervenant dès le mois de juillet 1968 ? Y a-t-il eu en novembre dévaluation de fait ? Et si l'amputation du franc avait été admise, aurait-elle dû être limitée à 12 ou 14 % par exemple, ou au contraire, afin d'entraîner les monnaies occidentales, fixée à 22 ou même 24 % ? Ces questions se situeront au centre des débats de la campagne présidentielle et, celle-ci achevée, le nouveau gouvernement affirmera que la dévaluation peut être évitée.

Il reste qu'après le coup très rude porté au régime et à son chef par la révolte étudiante et la grève ouvrière du printemps, la crise monétaire de novembre, même si le président de la République a finalement, cette fois encore, paru redresser la situation par une décision inattendue, a atteint la confiance des possédants et contribué à l'échec enregistré au référendum d'avril par le général de Gaulle.

Il faut ajouter que des mesures telles que la majoration des droits de succession inscrite dans le budget et l'entrée en application à partir du 1er janvier 1969 de la TVA au commerce devaient renforcer encore l'irritation et la méfiance de différentes catégories sociales, jusque-là bien disposées à l'égard du gaullisme.

Divisions de la gauche

L'opposition de gauche avait été, elle aussi, durement secouée par les événements de mai et écrasée aux élections de juin. Les conséquences de cette quasi-absence, puis de cet échec, allaient apparaître sans retard de ce côté également. Dès le 10 juillet, plusieurs parlementaires socialistes, à l'occasion de leur première réunion consécutive aux élections des 23 et 30 juin, mettent en cause François Mitterrand, qu'ils désignent comme le responsable de la défaite, et réclament sa démission. Le même jour, le parti radical s'en prend à l'orientation de la Fédération de la gauche. La Convention propose, au contraire, le 18, d'accélérer le processus d'unité et de fusion des trois familles fédérées. Le parti communiste, de son côté, proclame plus que jamais la nécessite de l'« union de toute la gauche », qui sera son slogan jusqu'à l'été 1969.