Faits divers

Une douloureuse affaire, le rapt du jeune Malliart

Il était 12 h 30, le lundi 4 décembre 1967. Dans la belle maison qu'elle habite à Versailles, avenue du Maréchal-Douglas-Haig, Mme Jacques Malliart, épouse d'un administrateur civil au ministère des Armées, s'inquiète. Le plus jeune de ses quatre enfants, Emmanuel, âgé de sept ans, aurait déjà dû être revenu du collège Saint-Jean-de-Béthune. C'est un enfant sage, qui ne flâne jamais. La mère se rend à l'école, toute proche ; le directeur, surpris, lui apprend que son fils est normalement parti peu avant midi.

De retour chez elle, Mme Malliart se trouve tout à coup face à face avec l'inimaginable : son enfant a été enlevé. Une missive anonyme, composée avec des caractères découpés dans un magazine, a été glissée dans la boîte aux lettres. Elle réclame une rançon de 20 000 F, qui doit être déposée au pied de la statue du général Hoche, sur la place du même nom, à Versailles. Le règlement, en coupures de 100 F, doit être effectué dans un délai de cinq jours. « Un matin, à 4 h 30. »

« Jusqu'au vendredi... »

Ainsi commence un effrayant suspense qui, pendant près d'une semaine, va tenir la France en haleine. Les parents lancent d'abord appel sur appel pour faire savoir au ou aux ravisseurs qu'ils souscrivent à toutes les conditions posées. Ils chargent un capucin, le père Alexandre, de servir d'intermédiaire avec le ou les auteurs du rapt, qui pourraient prendre contact par téléphone avec lui sous le sceau du secret.

Quelques heures avant l'expiration du délai fixé par la lettre anonyme, le ministre de l'Intérieur lui-même, Christian Fouchet, utilise la télévision pour s'adresser au coupable : « Jusqu'au vendredi 8 décembre minuit, je donne l'ordre à la police de ne plus vous chercher. Si vous rendez l'enfant sain et sauf à ses parents, vous pouvez espérer dans la justice des hommes. » En vain...

L'auteur du rapt, cependant, ne cesse de se manifester. Il téléphone à la famille Malliart. Il prend contact avec les intermédiaires désignés par celle-ci. Il fait parvenir une paire de chaussures et des bretelles que portait Emmanuel pour prouver qu'il est le seul interlocuteur valable.

Il décide ensuite de porter la rançon de 20 000 à 60 000 F et précise qu'elle, doit être placée sur les marches d'une abbaye de l'avenue de Glatigny. Il vient prendre cet argent, déposé par le père Alexandre, le samedi à 2 heures du matin. Quelques heures plus tard, il réclame 40 000 F de plus...

À coups de gourdin

Tant de ruse diabolique mêlée à tant de naïveté ne manquent pas de frapper les enquêteurs qui, sauf pendant la trêve décidée par Christian Fouchet, n'ont pas cessé de travailler. Ils ont acquis une quasi-certitude : l'enfant a dû être tué par celui qui remet de jour en jour sa restitution. Ils ont aussi accumulé des soupçons quant à l'identité du coupable.

Le samedi, à 19 heures, ils commencent à interroger un adolescent de quinze ans, François X..., qui habite à proximité de la famille Malliart. Celui-ci se défend pied à pied. Mais dans le grenier de la villa qu'il habite, les policiers ont retrouvé les 60 000 F de la rançon. Alors François finit par avouer, et fait le récit d'un crime minutieusement calculé.

Le 4 décembre, il est venu chercher Emmanuel à la sortie de l'école et lui a proposé de se cacher par jeu dans une caisse posée sur une carriole. En criant : « Ferrailles... vieux chiffons... », il a regagné son domicile. Là, il a aussitôt tué le jeune garçon à coups de gourdin. Prévoyant qu'on lui demanderait de fournir la preuve que l'enfant était bien en sa possession avant de consentir à lui verser une rançon, il a retiré les chaussures et les bretelles sur le cadavre. Puis il est allé le cacher dans un bois voisin, sous une mince couche de feuilles.

Plus que les circonstances du meurtre, ce sont ses mobiles qui vont désormais susciter l'horreur et secouer les consciences. Le jeune François X... avait voulu se venger de la société, qu'il avait prise en haine depuis que son père, haut fonctionnaire lui aussi, avait quitté sa mère et ses enfants. Ebranlé nerveusement par ce divorce et ses séquelles, il s'était forgé un monde à lui, où le morbide et l'imaginaire étaient alimentés par la lecture de romans policiers. Ainsi lui était venue l'idée à la fois de faire du mal à une famille heureuse, trop heureuse, et de se livrer à un jeu cruel avec elle et avec l'opinion publique. À l'instruction, il dira aussi qu'il espérait, en commettant un tel assassinat, que cela lui vaudrait la peine de mort.