Dans ce domaine, toutes les formules, toutes les solutions furent successivement ou simultanément envisagées : création d'une troisième chaîne publicitaire, gestion par un organisme paritaire commun à la presse écrite, à la publicité, aux associations de téléspectateurs et à l'Office des budgets et des émissions, limitation dans le temps et dans l'espace, obligation même de compenser dans une certaine proportion la publicité faite à l'antenne par des annonces dans la presse écrite. Le débat, cependant, qui s'enlisait dans les monologues juxtaposés du pouvoir et de la presse, se transportait bientôt sur le terrain politique.

À la fin d'octobre 1967, le projet d'introduction de la publicité de marques à l'ORTF était arrêté par le gouvernement. Un concert de protestations s'élevait dans l'opposition, les réserves d'une partie de la majorité étaient visibles, tous les groupes étaient, en fait, divisés. Thèse des adversaires : une telle mesure ne pouvait pas être décidée par voie réglementaire, mais ne pouvait résulter que du vote d'une loi par le Parlement. Cette thèse, reprise notamment sous la forme d'amendements lors de l'examen du budget, était âprement discutée par les juristes. Le gouvernement décidait de saisir le Conseil constitutionnel, mais il le faisait sous une forme si curieusement ambiguë que la décision, rendue le 1er février 1968 par cette haute instance, loin de vider la querelle, la relançait : les deux camps interprétaient de façon diamétralement opposée le verdict, à tout le moins obscur, des neuf « sages » du Palais-Royal.

La loi organique Dumas

On en était là au moment de la rentrée parlementaire d'avril et l'opposition s'était cristallisée sur un projet de loi organique de Roland Dumas, ancien député fédéré, qui revenait, en interprétant l'article 34 de la Constitution, à rendre la décision législative. Une Commission spéciale était désignée, Roland Dumas y trouvait une majorité pour devenir le rapporteur de son propre projet, et le gouvernement maintenait sa position : la publicité de marques ferait son entrée à la télévision le 1er octobre, pour six à vingt minutes chaque soir au début, moyennant 50 000 F la minute. Elle serait également diffusée par les trois chaînes de radio, et les télévisions régionales pourraient recueillir une publicité spécifique. Une contre-campagne d'opinion, avec tables rondes de spécialistes et plaidoyers officiels, était lancée.

Le jour où la proposition Dumas devait venir en discussion devant l'Assemblée, petit coup de théâtre : son auteur la retirait, l'opposition déposait une motion de censure qui élargissait la condamnation à toute la gestion de l'ORTF et aux problèmes généraux de l'information. Cette motion évitait, en définitive, à la majorité de se diviser, puisqu'elle transférait la discussion au plan de la politique générale et de la stabilité gouvernementale. Le 24 avril, elle recueillait 236 voix, 8 de moins que la majorité nécessaire.

Les journées de mai

D'autres soucis n'allaient pas tarder à éclipser, au moins pour un temps, ce débat. L'explosion estudiantine, puis les grandes grèves ouvrières de mai ne manqueraient pas de retentir durement sur la presse parlée, écrite ou en images. Sur la presse écrite d'abord, qui voyait tour à tour ou simultanément diverses catégories de ses producteurs — tantôt les typographes, tantôt les porteurs et employés, tantôt les diffuseurs — se croiser les bras. Un jour, les quotidiens ne paraissaient pas, ou seulement certains d'entre eux ; le lendemain, ils ne réussissaient à imprimer que quelques milliers d'exemplaires au lieu de plusieurs millions.

Les messageries de presse avaient cessé le travail et les grévistes s'efforçaient d'empêcher la diffusion par d'autres voies. Les transports étaient arrêtés. Les vendeurs revendiquaient une augmentation de leur pourcentage et fermaient les kiosques. Les annonceurs annulaient leurs ordres de publicité.

Les imprimeries de labeur ne fonctionnaient plus et les hebdomadaires renonçaient à deux, trois numéros ou tentaient, et parfois avec succès, d'imprimer en Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne. Tel grand quotidien parisien du soir, qui accroissait très sensiblement son tirage pendant cette période difficile, évaluait cependant à un million de francs la perte sèche subie par lui du fait des grèves. Des trésoreries moins solides étaient dangereusement asséchées et bien des entreprises en grand péril.

La grève de l'ORTF

Quant à l'ORTF, il n'existait que par à-coups et de façon singulièrement chaotique. Les événements réalisaient l'impossible : l'ensemble des syndicats, si nombreux dans cet énorme Office aux spécialisations très diverses, se groupaient en une intersyndicale unique, qui déclenchait la grève de la télévision.