Mais c'est un groupe de jeunes, les Charlot, d'un style bien personnel, qui se révèle.

Le jazz

Bien que relevant de maladie, Louis Armstrong a dominé sans peine le Festival d'Antibes, dont l'affiche, comme chaque année, avait été composée selon la recette fameuse du pâté d'alouette : un cheval, une alouette. Oublions les chevaux, peu fringants ; l'alouette Armstrong reste le plus grand chanteur que le jazz ait connu et, si le trompette est moins abondant qu'autrefois, il sait faire tenir en trois notes ce qu'il exprimait hier en une phrase.

Le même été 1967 on a pu applaudir, à Saint-Sébastien, le remarquable saxo-ténor Hal Singer, et, à Biarritz, « le génie fou du violon », Stuff Smith, malheureusement disparu depuis. Au festival de Newport, tandis qu'Albert Ayler et son orphéon faisaient littéralement fuir les auditeurs, Earl Hines et Lionel Hampton obtenaient un succès considérable, ainsi que Willie « The Lion » Smith, se livrant, avec Don Ewell, à une bataille de pianos dont un disque excellent nous a gardé l'écho.

Swing harcelant

L'automne a vu naître, à New York, les Swingers Inc., grand orchestre dirigé par le trompette et compositeur Edgar Battle, assisté du saxo-clarinettiste Eddie Barefield. Edgar Battle a également créé sa propre marque de disques, Cosmopolitan, pour pouvoir s'exprimer librement et permettre à quelques musiciens de premier ordre de rompre le silence auquel les condamnait leur refus de toute compromission.

En octobre, la tournée annuelle de l'American Folk Blues Festival a généralement déçu : trop de chanteurs de second plan ; un seul de grande classe, Little Walter, harmoniciste et danseur, étonnant de présence et de verve, mort, hélas ! en février 1968.

La révélation de la saison a été, en novembre, le trio formé par le pianiste et organiste Milt Buckner, le saxo-ténor Buddy Tate et le batteur Wallace Bishop.

Ceux qui ne connaissaient Buckner que par ses disques, pourtant admirables, ont découvert, à l'audition directe, un musicien à l'imagination inépuisable et au swing harcelant, un animateur extraordinaire, une force de la nature comme on n'en avait guère vue depuis Fats Waller.

L'exemplaire sobriété de Buddy Tate — jamais une note de trop — contraste savoureusement avec la non moins exemplaire abondance de Buckner ; son swing, son sens mélodique, sa belle sonorité tranchante le mettent au premier rang des saxos-ténors. Wallace Bishop, enfin, est un de ces batteurs, trop rares, plus soucieux de soutenir ses partenaires que de briller à leurs dépens. Sa partie, efficace et discrète, n'en est pas moins passionnante à suivre, au contraire.

Force dramatique

Nous avions déjà pu entendre Buddy Tate à Pleyel, avec le Newport All Stars, comprenant Ruby Braff, le meilleur trompette blanc d'aujourd'hui. Au même programme, le Guitar Workshop nous avait permis d'applaudir les remarquables guitaristes Buddy Guy et, surtout, George Benson, éblouissant de swing et de musicalité. Un autre guitariste et chanteur de blues, B. B. King, a stupéfié les Parisiens, au cours d'un Musicorama exceptionnel, par sa puissance expressive, la force dramatique de son jeu et de son chant.

En mars 1968, un des très rares petits orchestres réguliers encore en activité a visité l'Europe : les Saints and Sinners. Parmi eux, deux anciens compagnons de Fats Waller : le brillant saxo-clarinettiste Rudy Powell et le trompette Herman Autrey, dont la puissance et l'ampleur ont heureusement surpris. Au trombone, Vick Dickenson, qui est sans doute actuellement le spécialiste le plus complet de l'instrument ; au piano, Red Richards, accompagnateur solide et soliste séduisant.

Deux cents chaises

En mai, une chanteuse célèbre aux États-Unis, mais connue en Europe des seuls amateurs, Aretha Franklin, a conquis en un soir le public de l'Olympia.

Le répertoire d'Aretha Franklin est proche de celui de Ray Charles, mais son timbre et son style sont bien personnels : allègre ou pathétique, elle chante avec un swing franc, jamais appuyé. Le lendemain du récital d'Aretha Franklin, nous avons retrouvé avec un plaisir toujours neuf les décalages rythmiques et les harmonies savoureusement hétérodoxes d'Errol Garner ; pour asseoir la foule de ses admirateurs, il a fallu mettre, sur la scène de Pleyel, deux cents chaises supplémentaires.

Un des derniers grands de La Nouvelle-Orléans, le clarinettiste Albert Nicholas, a parcouru la France, accompagné par les Gammas, un trio comprenant l'excellent pianiste et organiste Alain Guiu, le batteur Jean Martin et le contrebassiste Roland Lobligeois, meilleur spécialiste français de l'instrument. Nous avons revu, enfin, le flamboyant guitariste T. Bone Walker, entouré de Ram Ramirez (piano et orgue), de Hal Singer, de Wallace Bishop et du jeune trompette François Biensan, dont le jeu nous apporte plus que des promesses.