Journal de l'année Édition 1968 1968Éd. 1968

Marché commun

La fin d'une étape

C'est dans un climat d'incertitude que le Marché commun a fini de démanteler ce qui restait de ses barrières douanières, le 1er juillet 1968.

La France, qui, déjà, en 1958, faillit empêcher le démarrage de cette grande aventure, se retrouve à nouveau, et d'une manière tout à fait inattendue cette fois, en position difficile, à cause de la crise sociale de mai-juin.

Mesures de sauvegarde françaises

À la fin du mois de juin 1968, le gouvernement a fait connaître à ses partenaires du Marché commun, sa volonté de respecter l'échéance du 1re juillet, tout en demandant certaines dérogations temporaires en raison des circonstances. Il s'appuyait, pour cela, sur l'article 109 du traité de Rome, qui stipule : « En cas de crise soudaine dans la balance des paiements, ... l'État membre intéressé peut prendre, à titre conservatoire, les mesures de sauvegarde nécessaires. »

Ces mesures visaient, d'une part, à favoriser les exportations, d'autre part à protéger le marché français contre certaines importations étrangères.

– Mesures en faveur des exportations : pour compenser les hausses de salaires, les entreprises bénéficient d'une aide de 6 % sur leurs exportations du 1er juillet au 31 octobre, aide ramenée à 3 % jusqu'à la fin janvier 1969. Les taux du crédit à l'exportation sont abaissés.

– Mesures de freinage des importations : certains produits (automobiles, aciers, textiles, appareils électro-ménagers) sont contingentés jusqu'à fin novembre ou fin décembre 1968, sur la base du niveau d'importation pendant la période correspondante de 1967, majoré d'un pourcentage variable. En outre, les importations de certains autres produits (machines-outils, composants électroniques, panneaux stratifiés, etc.) sont placées sous surveillance.

Symbole de réussite

Les autres pays de la Communauté ne sont pas sans soucis : la Belgique vient de vivre l'une des plus longues crises ministérielles de son histoire et l'Italie de constituer non sans peine un gouvernement de transition après les élections de mai. En Allemagne, où l'agitation des étudiants commence plus tôt qu'en France, la situation politique intérieure ne bénéficie plus du climat de tranquillité qui a été le sien depuis le début de la République fédérale.

Le fait que toutes ces incertitudes n'ont pas empêché la réalisation, avec dix-huit mois d'avance sur le calendrier prévu, de l'union douanière, reste cependant un bon symbole de la réussite de l'entreprise. Mais il est clair que la construction de l'Europe ne s'achèvera pas avec l'abolition des barrières douanières. D'une certaine manière, elle commence seulement.

Dégâts limités

La vie de la Communauté européenne est troublée depuis juillet 1967 par deux phénomènes extérieurs : la candidature de la Grande-Bretagne et la crise monétaire. Les Anglais ne sont pas parvenus à forcer la porte du Marché commun, que le général de Gaulle continue de tenir fermée. Mais ils ont réveillé, une fois de plus, les divergences entre les pays de la Communauté. Il en est de même de la crise monétaire, à propos de laquelle les Six n'ont pu définir une attitude commune.

D'une certaine manière, les difficultés monétaires internationales ont contribué à limiter les dégâts provoqués par les divergences sur la candidature britannique. La dévaluation de la livre sterling en novembre 1967 montre bien la fragilité de l'économie britannique, fragilité dont le gouvernement français s'est fait un argument pour dire que, décidément, la Grande-Bretagne n'est pas en état d'entrer dans la CEE.

Aussi, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères des Six, le 19 décembre 1967, sur la candidature britannique, le refus de la France de l'examiner ne provoque ni surprise ni catastrophe, mais une consternation. Il est clair, pour tout le monde, que la Grande-Bretagne ne peut pas, un mois seulement après avoir dévalué sa monnaie, supporter toutes les obligations de la vie communautaire.

Concession française

La Commission de Bruxelles avait elle-même exprimé, le 29 septembre 1967, un avis sévère sur l'état de l'économie britannique.