Journal de l'année Édition 1968 1968Éd. 1968

Après quelques manifestations de mauvaise humeur, les partenaires de la France renoncent à bloquer les mécanismes communautaires, malgré le refus français. De son côté, le gouvernement de Paris fait une concession aux Allemands, le 16 février 1968, à l'issue d'une rencontre de Gaulle-Kiesinger, en déclarant que des arrangements commerciaux avec les Anglais sont parfaitement concevables.

Déjà, les pays du Benelux ont remis, le 19 janvier, un aide-mémoire en ce sens et l'Italie a pris la même orientation le 24 février. Il demeure, toutefois, une divergence fondamentale. Pour la France, ces arrangements commerciaux ne doivent pas déboucher automatiquement sur une adhésion britannique, alors que, pour ses partenaires, ils constituent une progression vers cette adhésion.

Divergences entre les Six

À Luxembourg, le 5 avril 1968, le gouvernement français a fait savoir, d'une manière extrêmement nette, qu'il refuserait tout accord constituant une transition vers l'adhésion britannique. Une nouvelle tentative allemande, le 30 mai, pour faire sortir le projet de l'ornière devait se révéler vaine.

Dans l'intervalle, les divergences entre les Six se sont largement étalées à propos de la crise monétaire internationale. À la conférence de Stockholm, fin mars, la France s'est isolée de ses partenaires en refusant la création de nouvelles liquidités internationales, suivant les projets préparés à la session du Fonds monétaire en septembre 1967.

Ainsi, au contraire de ce qui s'est passé en 1966-67, où les Six ont pu maintenir leur unité dans la négociation Kennedy sur l'abaissement général des tarifs douaniers, le Marché commun donne l'image de ces divergences dans ses rapports avec le monde extérieur.

Les difficultés agricoles

Cela n'empêche pas, cependant, la Communauté de continuer sa progression dans ses aménagements intérieurs, et notamment dans la politique agricole. Le 1er juillet 1967 est entré en vigueur le Marché unique des céréales, du porc, des volailles et des œufs, puis, le 1er septembre, celui du riz.

En 1968, les Six sont parvenus à mettre au point la réglementation commune du marché du sucre et la mise en place des marchés de la viande bovine, du lait et des produits laitiers. Au 1er juillet 1968, 85 % de la production agricole européenne se trouvent ainsi au stade du marché unique.

Le compromis

Ces projets ne sont pas réalisés sans difficultés, mais il en a toujours été ainsi en matière de politique agricole. Pour le lait et la viande bovine, les Six se mettent d'accord avec trois mois de retard, mais parviennent tout de même à un compromis. Toutefois, ce n'est pas sans remords et l'on ne peut pas assurer que l'avenir de la politique agricole commune se trouve absolument garanti. C'est ainsi que, pour aboutir à un accord sur le lait, il a fallu admettre un plafonnement des dépenses de soutien financier par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA).

Les Allemands et les Italiens ne veulent pas s'engager aveuglément à remplir la tirelire de l'agriculture européenne, où les Français, producteurs excédentaires, viennent dépenser des sommes grandissantes. De son côté, la Commission de Bruxelles se demande si elle n'a pas fait fausse route en fixant des prix agricoles trop élevés. Elle doit même suggérer de réduire les objectifs de prix dans le domaine laitier, où les excédents s'annoncent catastrophiques. Les gouvernements nationaux, soucieux de leur électorat agricole, ont refusé de suivre la Commission sur ce terrain, mais chacun sent bien qu'il faudra un jour ou l'autre poser ces problèmes difficiles. S. Mansholt, vice-président de la Commission de Bruxelles, entame une croisade pour convaincre agriculteurs et gouvernements que l'avenir n'est pas dans une hausse indéfinie des prix, mais dans une réforme profonde des structures agricoles.

Très légers progrès

En dehors de l'agriculture, les Six se sont mis d'accord pour accélérer l'application des réductions douanières du Kennedy Round, afin de soulager quelque peu la balance des paiements des États-Unis ; ils ont défini un nouveau programme de politique économique à moyen terme, pour stimuler la mise en œuvre d'une meilleure coopération en matière économique, financière et monétaire ; ils ont réussi à sortir quelque peu l'Euratom de sa paralysie ; de très légers progrès ont été réalisés en matière de transport ; un effort a été entrepris pour la coopération technologique. On n'avance guère sur la politique énergétique commune ; pas beaucoup plus sur les relations extérieures avec l'Espagne, la Tunisie, le Maroc, l'Algérie, Israël, la Yougoslavie, l'Autriche et l'Europe de l'Est ; toutefois, un accord d'association est intervenu avec le Kenya, l'Ouganda, la Tanzanie.

Au point où elle en est rendue, la Communauté européenne a, sans aucun doute, besoin de trouver un souffle politique nouveau pour entreprendre une nouvelle phase de sa construction. L'échéance du 1er juillet 1968 apparaît ainsi comme un véritable défi ; ou bien l'Europe demeure sur le terrain économique et commercial, où elle a, sans doute, atteint son point culminant ; ou bien elle retrouve le terrain politique sur lequel elle est née, et elle a une chance d'ouvrir une nouvelle phase de son unification.