Journal de l'année Édition 1967 1967Éd. 1967

Dans cette conjoncture hésitante et plutôt maussade, les attitudes des forces sociales ont subi d'assez fortes fluctuations. Les syndicats de salariés ont d'abord cru, au début de 1966, que la grande pénitence de la politique de stabilisation était terminée et que le moment était venu de reprendre l'action revendicative.

La CGT et la CFDT ont conclu à cette époque un accord d'unité d'action, et de nombreuses grèves éclatèrent, particulièrement dans le secteur public, où les syndicats sont mieux organisés. Sans grand succès. L'offensive reprit après la poussée à gauche enregistrée aux élections législatives de mars 1967.

Cette fois, ce fut le secteur privé le plus touché. Mais le mouvement tourna court, car le gouvernement, en demandant les pleins pouvoirs pour réformer la Sécurité sociale, allait à nouveau détourner vers lui l'hostilité des syndicats, soulageant d'autant le patronat. La revendication la plus caractéristique de toute cette période concerne la volonté des syndicats d'obtenir l'ouverture de négociations ambitieuses avec le patronat.

Les organisations ouvrières expriment ainsi ce sentiment diffus chez les salariés, en cette période de bouleversements, que tout se décide sans eux, alors qu'ils ont l'impression d'être ceux qui courent le plus de risques dans ces changements.

Le passage dangereux

Le patronat n'a pas directement répondu à cette préoccupation. Engagé dans de difficiles concentrations, confronté, pour la première fois de son histoire, à une concurrence internationale totale, bloqué du côté des prix et sans grandes ressources financières, le patronat n'a pas voulu s'engager dans une difficile négociation avec les syndicats.

Par contre, il a jugé opportun de mettre une sourdine aux déclarations fracassantes de 1965 contre l'étatisme, car, dans cette période délicate, il serait bien imprudent de se priver d'une épaule ou d'une main qui peut faciliter le franchissement d'un passage dangereux. En se donnant un nouveau président en la personne de P. Huvelin, le Conseil national du patronat français a d'ailleurs symbolisé son souci d'éviter les dogmatismes trop rigides.

Du côté des agriculteurs, la réalisation effective du Marché commun agricole devait d'abord apaiser les craintes exprimées à la fin de 1965, craintes dont on a pu dire qu'elles avaient joué un rôle dans la mise en ballottage du général de Gaulle lors des élections présidentielles. Passé le moment d'euphorie, il a bien fallu se rendre compte, là aussi, que le Marché commun n'était pas une panacée et qu'il imposerait de profondes et difficiles transformations.

En outre, le revenu agricole, qui avait comblé une petite partie de son retard sur les autres revenus en 1966 (conformément aux objectifs du Plan), ne semblait pas évoluer aussi favorablement en 1967.

Le néo-colbertisme

Pour répondre à toutes ces sollicitations et faire face à tous ces problèmes, le gouvernement ne s'est pas trouvé dans une situation très confortable. À peine sorti d'une élection présidentielle difficile, il devait se préparer à des élections législatives qui s'annonçaient encore plus dangereuses. Valéry Giscard d'Estaing avait été l'homme de la stabilisation. Michel Debré voulut être l'homme du Plan, tout en évitant les secousses trop violentes dans l'intervalle des deux élections. Ce qui le conduisit à différer les échéances les plus difficiles : déficit de la Sécurité sociale, relèvement des tarifs publics, mise en application des idées du général de Gaulle sur l'association des salariés à la vie des entreprises.

Toutefois, Michel Debré n'a pas le tempérament d'un homme passif et il réalise en 1966 une importante réforme de notre système bancaire, en vue de le moderniser et de le rendre plus efficace dans le développement économique.

Parallèlement, il fait voter une loi sur la formation professionnelle. Convaincu, avec le général de Gaulle, que « l'État doit conduire l'économie », M. Debré rompt discrètement avec le néo-libéralisme de son prédécesseur et met à l'honneur un néo-colbertisme, sans renoncer toutefois à la suppression du contrôle des changes, effectif au début de 1967.

Liberté des prix

Il manifeste ses tendances personnelles non seulement dans le rétablissement de l'impasse budgétaire, mais aussi dans la conclusion d'accords d'association avec certaines professions (sidérurgie, électronique) et l'institution de contrats de programme rendant la liberté des prix aux professions qui s'engagent à respecter les objectifs du Plan.

Politiser le débat

Le plus difficile restait à faire. Bien loin de faciliter la tâche du gouvernement, les élections devaient la lui compliquer en lui mesurant une majorité étroite. Le recours aux pouvoirs spéciaux pour résoudre les problèmes de l'emploi, de la Sécurité sociale, des entreprises nationalisées, de l'intéressement des travailleurs, donna l'impression d'une certaine improvisation, alors que ces échéances étaient connues depuis longtemps.