Journal de l'année Édition 1967 1967Éd. 1967

Ce tassement de la construction ne s'expliquait nullement par la satisfaction des besoins, mais par des excès dans la construction de luxe (plus de 10 000 logements invendus dans la Région parisienne) et des insuffisances dans la construction de logements populaires.

Reste le moteur le plus affaibli : celui de la demande étrangère. Pratiquement, du début de 1966 au milieu de 1967, nos ventes à l'extérieur n'ont pas progressé, tandis que nos achats augmentaient de 10 %, d'où le déficit qui a déclenché le clignotant.

Cette stagnation tient certainement aux difficultés économiques que traversent plusieurs de nos gros clients, en particulier l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Ces pays se sont mis à la diète pour juguler d'inquiétants déséquilibres financiers, mais ils y ont perdu l'appétit. En attendant qu'ils le retrouvent, ils désespèrent leurs fournisseurs.

Dans le même temps, l'économie américaine, qui connaissait depuis 1962 une des périodes les plus prospères de son histoire, a également baissé de rythme. Il reste cependant à prouver que la difficulté de vendre nos produits à l'étranger ne tient qu'à l'abstention de nos clients et non pas à un affaiblissement de notre position dans la concurrence internationale.

Le bilan s'établit donc ainsi : trois moteurs ralentis — la consommation, les ventes à l'étranger, le logement —, et deux moteurs soutenus — les dépenses de l'État et les investissements. Les conséquences se lisent très clairement sur la courbe de la production industrielle depuis dix-huit mois : ascensionnelle jusqu'à l'été 1966, cette courbe est à peu près stagnante depuis lors. Si bien que le gouvernement, qui prévoyait une expansion globale (pas seulement industrielle) pour 1967, de 5,3 % à l'automne 1966, a successivement ramené ce chiffre à 4,7 %, puis à « plus de 4 % », au fil des mois médiocres du début de 1967.

La peur du chômage

Cette stagnation a d'autant plus fait sentir ses effets sur l'emploi que, parallèlement, arrivaient à l'âge de travailler les jeunes, nés plus nombreux depuis la fin de la guerre. La France est traditionnellement un pays où il y a peu de chômeurs, d'abord parce qu'il y a peu d'hommes (nous sommes un des pays les moins peuplés d'Europe), ensuite parce que l'abondance de la population agricole masque le chômage réel.

Mais la France est, cependant, un pays qui a peur du chômage. Le fait important de ces derniers mois est le réveil de cette peur jusque dans des catégories sociales, comme celle des cadres, qui semblaient relativement à l'abri jusque-là. Ce qui a le plus progressé au cours des derniers mois, c'est moins le chômage lui-même que la peur du chômage.

Selon les estimations, le nombre de chômeurs réels est passé de 275 000 en janvier 1966 à 361 000 en juin 1967, soit une progression d'un tiers (ces chiffres sont très approximatifs) ; mais le chômage n'atteint pas 2 % du nombre total des travailleurs. Néanmoins, le climat a changé, et il faut faire rapidement la preuve que le pessimisme n'est pas fondé si l'on ne veut pas retrouver les mentalités frileuses et la médiocrité des années d'avant guerre.

Déjà des signes convergents révèlent un retournement de la tendance de la fécondité, et l'on sait combien celle-ci est sensible à la peur du chômage dans notre pays. Or, bien qu'elle atteigne cette année le seuil des 50 millions d'habitants, la France reste un pays sous-peuplé pour mettre en valeur toutes ses possibilités.

L'équilibre de l'emploi s'est donc dégradé depuis le début de 1966. Il en est résulté une grande modération dans la progression des salaires : à peine 6 % par an, en valeur nominale, soit environ 3 % par an en pouvoir d'achat. La hausse des prix se maintient, en effet, autour d'un rythme annuel se situant entre 2,5 et 3 %, ce qui est supérieur aux recommandations du Plan (moins de 2 % par an), mais ce qui reste tout de même inférieur aux 4 % de la période antérieure à la politique de stabilisation de 1963.

L'offensive syndicale

En 1966, nos prix ont augmenté moins vite que ceux de nos principaux concurrents étrangers, y compris les États-Unis, fait exceptionnel. Mais il n'en ira pas de même en 1967, car la hausse s'est sensiblement ralentie chez nos voisins. Le franc reste une monnaie solide, amarrée sur un impressionnant stock d'or, lequel a toutefois cessé de s'accroître depuis l'été 1966. à cause du déficit de nos échanges avec l'étranger.