Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

orchestration (suite)

Au xxe s., la technique de l’orchestration s’est si bien développée que les compositeurs de quelque valeur qui orchestrent mal deviennent l’exception. Depuis la fin du romantisme, les cordes tendent sans cesse à perdre leur hégémonie d’antan, cependant que l’émancipation de la percussion, entreprise par Milhaud et Varèse, ne cesse de s’amplifier : celle-ci a acquis par rapport aux trois autres groupes traditionnels (bois, cuivres et cordes) une égalité qui tend même à se transformer en suprématie, tant par le nombre et la variété des instruments (jusqu’à cent ou cent cinquante, confiés parfois à une douzaine de musiciens ou davantage !) que par leur volume sonore.

La notion traditionnelle d’orchestration tend à disparaître à notre époque : en effet, pour la plupart des jeunes, l’orchestration n’est plus un acte distinct du reste de l’invention musicale, mais s’effectue en même temps que la détermination des autres paramètres musicaux. La présence de plus en plus fréquente d’éléments électro-acoustiques (bandes pré-enregistrées, amplification ou déformation des instruments au moyen de micros directionnels ou de contact, de générateurs, utilisation d’instruments électroniques, de synthétiseurs, etc.) rend de plus en plus impossible la « réduction » au piano des partitions contemporaines.

À tout cela vient s’ajouter l’éclatement de la musique dans l’espace (groupes d’instruments disposés en divers lieux, dialogues d’instruments et de bandes), voire dans le temps (passages de bandes en ralenti, en accéléré, à l’envers, etc.) : l’orchestration d’une œuvre s’effectue ainsi « à chaud », en prise directe sur le processus même de l’invention musicale.

Mais, là encore, Berlioz n’avait-il pas montré la voie ?...

H. H.

orchestre

Ensemble instrumental de plus ou moins grandes dimensions.


Généralités

Avant de prendre ce sens, le terme désigna un lieu : celui qui, dans le théâtre grec, se trouvait situé entre les gradins réservés au public et la scène où jouaient les acteurs. Cet espace était occupé par le chœur. Cela indique nettement les origines théâtrales de l’orchestre moderne, qui se définit pour la première fois de manière nette comme ensemble instrumental destiné à accompagner le chant ou la danse dans les premiers essais d’opéras*, à l’orée du xviie s.

Si les ensembles instrumentaux d’une certaine importance du point de vue des effectifs sont surtout l’apanage de la culture musicale occidentale des quatre derniers siècles et si cette culture seule a émancipé l’orchestre en le détachant du théâtre, d’autres cultures que la nôtre ont connu des formations instrumentales assez nombreuses et assez variées pour mériter le nom d’orchestre : on pensera avant tout au gamelan de Bali, à base de percussions métalliques, et au gagaku, ou orchestre de cour de la musique traditionnelle japonaise, mêlant cordes pincées, vents et percussions.

Ces cultures musicales extra-européennes se caractérisent, on le sait, par une sensibilité aiguë au timbre, qui, pendant longtemps, n’occupa qu’une place secondaire au sein de la pensée musicale européenne, tout entière accaparée par les problèmes de la polyphonie et, par conséquent, accordant la priorité aux hauteurs et aux durées, fixées de manière précise dès le Moyen Âge par la notation. Les instruments se bornaient le plus souvent à doubler les voix, les remplaçant parfois, mais sans indications précises de la part des compositeurs. Seule la musique de danse faisait appel à des ensembles instrumentaux autonomes, de dimensions modestes.

La grande émancipation des instruments date de la Renaissance. Au xvie s., on se plut surtout à les grouper par familles homogènes, que l’on appelait des chœurs, tout comme les ensembles vocaux. Les musiciens de la basilique Saint-Marc, à Venise (le Flamand Adriaan Willaert, puis les Gabrieli, Andrea et Giovanni), tirant parti d’une architecture exceptionnelle (croix grecque, avec quatre tribunes se faisant face deux à deux), furent les premiers à répartir de pareils chœurs (vocaux ou instrumentaux) de manière à créer une musique spatiale ou stéréophonique (cori spezzati). Dans ses Sacrae Symphoniae de 1597 et de 1615, Giovanni Gabrieli alla plus loin, prescrivant pour la première fois de manière précise les instruments, voire les nuances dynamiques générales (Sonate Pian e forte). Mêlant et opposant avec audace et un grand sens de la couleur bois, cuivres et cordes, il peut être considéré comme le premier orchestrateur véritable. Il peut y avoir jusqu’à cinq « chœurs » et vingt-deux parties réelles, correspondant à autant d’instruments. À la même époque, L’Orfeo de Monteverdi (1607) réunit non moins de trente-six instrumentistes (violes et violons, clavecins, orgues, harpes, chitarroni, flûtes, cornets, trompettes et trombones), mais ceux-ci ne sont jamais utilisés tous ensemble. Au contraire, la couleur instrumentale varie selon le lieu de l’action et selon l’identité des personnages : ces changements, indiqués avec une grande précision, témoignent déjà d’un sens aigu du timbre et d’une conception dramatique du « leit-timbre », annonçant de loin le leitmotiv wagnérien. Cependant, pareille somptuosité demeure exceptionnelle, car rares étaient les théâtres disposant des ressources fastueuses de la cour de Mantoue : les opéras vénitiens de Monteverdi lui-même et de ses successeurs (Cavalli, Cesti) font appel à des effectifs beaucoup plus modestes, généralement non précisés. Une étape capitale sur le chemin menant à l’orchestre moderne est en France la constitution de la bande des Vingt-Quatre Violons du roi ; celle-ci, qui existe déjà sous les Valois et participe au ballet de cour, sera dirigée par Lully, employée dans la tragédie lyrique et intégrée ensuite à l’ensemble de la chapelle royale, comprenant également des vents.

On peut dire que la suprématie définitive des violons sur les violes, généralisée durant la seconde moitié du xviie s., constitue le jalon essentiel : la conception renaissante des « chœurs » autonomes fait place à celle d’un orchestre au centre de gravité unique, et ce centre de gravité est constitué par les cordes, écrites à cinq parties chez les Français, à quatre chez les Italiens. Les cordes demeureront le cœur de l’orchestre jusqu’à aujourd’hui ; bien plus, elles se suffisent aisément à elles-mêmes, comme en témoigne le grand répertoire du concerto grosso de Corelli à Händel. Les effectifs étaient souvent considérables, et Georg Muffat rapporte avoir vu Corelli à la tête de cent cinquante instrumentistes. D’un autre côté, les Concerts pour divers instruments (dits « Concertos brandebourgeois ») de Bach, les partitions les plus variées de leur époque quant au choix des timbres, étaient certainement destinés à de petites formations : il faut se garder de généraliser et de vouloir ramener toute la musique d’ensemble de l’ère baroque à la formule de l’orchestre de chambre.