Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

Orcagna (Andrea di Cione di Arcangelo, dit l’) (suite)

Quelques œuvres sont encore attribuées à Orcagna pour ce qui est de la conception, mais l’exécution en a été confiée à son frère Iacopo di Cione ou à des artistes travaillant dans son atelier. Le polyptyque de la Vierge à l’académie de Florence (1353), venant de l’église de l’Annunziata, montre un style analogue à celui du polyptyque Strozzi : ombres accentuées, personnages au contour sec et métallique, volumes coupants.

Frère d’Andrea et de Iacopo, Nardo di Cione (connu en 1343, † v. 1366) travaille sous l’influence d’Andrea Orcagna, mais semble n’avoir pas totalement rompu avec le luminisme et la fluidité des peintres « d’avant la peste », comme Maso di Banco. Les fresques de la chapelle Strozzi à Santa Maria Novella révèlent, aussi bien dans le Jugement dernier, peint de chaque côté d’un vitrail composé par l’artiste, que dans l’Enfer et le Paradis décorant les murs de droite et de gauche de cette chapelle funéraire, une recherche de rythme et une technique modelée où le pinceau caresse les volumes. Cette grâce assouplit la composition orcagnesque de la Vierge à l’Enfant en majesté (New York, Historical Society).

N. B.

 H. D. Gronau, Andrea Orcagna und Nardo di Cione (Berlin, 1937).

orchestration

Au sens courant du terme, le dernier acte de composition dans la rédaction d’une œuvre faisant appel à l’orchestre, celui où, la matière musicale étant fixée dans ses détails de matière mélodique, harmonico-polyphonique et rythmique ainsi que dans sa structure formelle, il reste à l’incarner dans la réalité sonore des instruments. Prise dans cette acception, la notion est relativement récente et actuellement en voie de disparition.


Avant la fin du xvie s., on le sait, les instruments n’étaient presque jamais précisés dans une œuvre pour ensemble. Mais un J.-S. Bach n’« orchestre » pas davantage au sens actuel. Il décide, au départ, de répartir les différentes voix de la polyphonie à différents instruments, mais dont chacun conservera dès lors la voix qui lui a été confiée : pareille manière de procéder s’apparente plus à la registration, telle qu’elle est pratiquée à l’orgue, et la nature de la dynamique (oppositions statiques, par plans, en l’absence de nuances progressives, telles que crescendo ou decrescendo) accentue cette ressemblance. À cet égard, Rameau, dans ses opéras, fait figure de grand précurseur de l’art classique de l’orchestration : il considère déjà ses divers timbres instrumentaux comme autant de couleurs disponibles au départ sur sa palette, et il s’ingénie dès lors non seulement à les alterner avec variété et subtilité, à l’exclusion de toute symétrie, mais aussi à les opposer ou à les combiner entre eux. Les grands classiques viennois, Haydn et Mozart, poussent beaucoup plus avant dans cette voie, et, chez eux, la subtilité des nuances dynamiques rejoint celle du choix des timbres. Si Mozart manie les bois avec un charme et un raffinement inégalés, Beethoven donne à l’orchestre un relief et une vigueur tout nouveaux, introduisant la notion d’oppositions de masses et de volumes. Weber et surtout Schubert sont les premiers à faire chanter les cuivres, notamment les trombones, à l’égal des autres instruments de l’orchestre, mais le pas le plus décisif en matière de science orchestrale est franchi par Berlioz*, chez qui l’orchestration devient un acte « compositionnel » autonome, parfois plus décisif que l’invention mélodique, harmonique ou rythmique : Berlioz est le premier compositeur qu’on ne peut plus « réduire » au piano sans que sa pensée musicale en soit irrémédiablement appauvrie, voire mutilée. Parmi ses innombrables initiatives révolutionnaires, dont nous vivons aujourd’hui encore et qui sont codifiées dans le Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes (1844), où l’on trouve cette phrase extraordinaire d’audace et d’actualité : « Tout corps sonore mis en action par le compositeur est un instrument de musique » (c’est, par avance, la caution de Varèse, puis de tous nos électro-acousticiens !), citons l’introduction de la harpe, du piano, l’émancipation de la percussion, la généralisation des « effets spéciaux » aux cordes (harmoniques, col legno, sul ponticello, etc.), celle des sourdines à tous les instruments à cordes et à vent, les oppositions de registres extrêmes (les fameux accords pour flûtes et trombones seuls dans l’Hostias du Requiem) et bien d’autres encore. L’orchestre de Berlioz sonne clair et éclatant, jamais opaque, jamais confus. S’il lui arrive d’inventer d’extraordinaires alliages de timbres (c’est là l’une des activités essentielles de l’orchestrateur romantique ou moderne), alliages qu’il faut bien se garder de confondre avec de simples et souvent maladroites doublures, telles que les pratiquent des orchestrateurs moins avisés, comme Schumann (un exemple génial parmi d’autres : le poignant unisson du cor anglais, des bassons et du cor dans l’« Invocation » de la « Scène du Tombeau » dans Roméo et Juliette), Berlioz préfère généralement la joie des timbres purs, et, à cet égard, il sera suivi par un grand nombre de maîtres de l’orchestre, de Liszt et de Rimski-Korsakov à Debussy, à Stravinski et à Mahler. Au contraire, Wagner, Strauss et leurs successeurs préfèrent des alliages plus complexes, une matière moins lumineuse et plus compacte. Brahms, souvent accusé de grisaille et de lourdeur, cultive un camaïeu discret et raffiné, convenant parfaitement à sa pensée musicale, et, de ce point de vue, c’est donc un bon orchestrateur : certaines oppositions subtiles de timbres, de registres et d’harmonies (« Andante » de la 3e symphonie) ne laissent aucun doute à ce sujet. Bruckner constitue un cas à part : son orchestration par oppositions de plans et de groupes de timbres rappelle presque les cori spezzati de la Renaissance, et ses chorals de cuivres ont quelque chose de gabrielesque. Quant à Fauré, il est le type même du grand musicien qui n’est pas du tout un orchestrateur : sa pensée musicale possède une valeur autonome, abstraite, pourrait-on dire, et sa parure orchestrale est secondaire.