Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

Oratoire (suite)

Pour le père Gratry, l’Oratoire devait être « un lieu de prières, d’étude dans la prière et de propagation évangélique par la parole et par la plume [...]. Les moyens sont d’abord la réunion de plusieurs dans un lieu de prières et d’études, dans cet Oratoire qui se compose de deux éléments, l’oratoire proprement dit, et puis l’atelier de travail, ou, si l’on veut, la chapelle et la bibliothèque. »

Malgré deux dispersions, en 1880 et en 1903, l’Oratoire, reconstitué en 1920 par le père Courcoux, a continué à mener à bien ce qu’un de ses membres appelait l’apostolat de la science.

P. R.

 A. Chauvin, le Père Gratry. L’homme et l’œuvre (Bloud, 1901). / L. Ponnelle et L. Bordet, Saint Philippe de Neri et la société romaine de son temps, 1515-1595 (Bloud et Gay, 1928 ; nouv. éd., Éd. du Vieux Colombier, 1958). / J. Dagens, Bérulle et les origines de la restauration catholique, 1575-1611 (Desclée De Brouwer, 1952). / A. George, l’Oratoire (Grasset, 1954).

oratorio

Drame lyrique composé en général sur un sujet religieux ou moralisateur et exécuté sans mise en scène à l’église ou au concert.


Issu d’anciennes formes liturgiques et notamment des jeux et mystères du Moyen Âge, l’oratorio subit au cours de son histoire l’influence de la cantate et de l’opéra. En raison de ses variations, il constitue un genre musical hybride dont la définition reste imprécise. Sans négliger l’apport du drame liturgique, il trouve exactement son origine dans les chants des évangiles de la Passion, pratiqués très tôt à l’église sous forme de « dialogues » durant les offices de la semaine sainte. Le texte est confié à un récitant, dont la présence sera souvent par rapport à l’opéra — que ce rôle soit dévolu à un soliste ou à un chœur — le signe distinctif de l’oratorio ; les paroles du Christ sont chantées par une basse, celles de divers protagonistes par un autre interprète, et les interventions de la foule par un chœur polyphonique.

Vers la fin du xve s. et durant le xvie, les musiciens s’emparent de cette tradition. Le Néerlandais J. Obrecht* (1450-1505), le Français Claudin de Sermisy (v. 1490-1562), les Italiens Vincenzo Ruffo (v. 1510-1587) et Giovanni Matteo Asola (v. 1560-1609), les Flamands Cyprien de Rore (1516-1565) et Roland de Lassus*, les Espagnols Francisco Guerrero et Tomás Luis de Victoria* ainsi que l’Anglais W. Byrd* créent la Passion, genre musical qui s’apparente à l’oratorio. Cependant, le terme générique d’oratorio s’élabore vers le même temps à Rome en marge du culte officiel. Des compositeurs liés à la Contre-Réforme, comme Giovanni Animuccia (v. 1500-1571), Palestrina*, Giovenale Ancina (1545-1604) et l’Espagnol Francisco Soto de Langa (v. 1534-1619), écrivent, à l’intention des réunions organisées à l’Oratoire de saint Philippe Neri, des laudi spirituali. Ce type de chant « en dialogue », inspiré par le récent style monodique et appelé parfois cantata, est bientôt, en raison du lieu où il est chanté, nommé oratorio. Ce vocable tend, par la suite, à s’appliquer à toute œuvre dramatique pieuse. La Rappresentazione di Anima e di Corpo (le Débat de l’âme et du corps) d’Emilio Dei Cavalieri (v. 1550-1602), exécutée à l’oratoire romain de Santa Maria in Vallicella (1600), est souvent considérée comme le premier oratorio, bien que la forme en soit assez vague. Ce poème moral, où chaque scène comprend une succession de canzonetti spirituali, des chœurs harmoniques et des récitatifs, n’en suscite pas moins une vague d’opéras « sacrés », tels l’Eumelio (1606) d’Angostino Agazzari (1578-1640), le Sant’Alessio (1632) de Stefano Landi (v. 1590-1639), qui, bien que distrayant les cours princières privées d’opéras durant le carême, détournent le genre de sa véritable mission. Dans un répertoire plus modeste et qui, par contre, reste fidèle à la lauda dialoguée s’opère la transformation essentielle qui conduira à l’oratorio. Dans le Teatro armonico spirituale... (1619), pourtant peu dramatique, de Giovanni Francesco Anerio (v. 1567-1630), le chœur fait office de récitant, et chaque personnage mis en cause chante en solo.

Bientôt, cette forme primitive se modifie : un soliste se substitue au chœur. En ce sens, la lauda dialoguée ne diffère plus guère des derniers madrigaux de Monteverdi*. Elle illustre la période de transition qui conduit à l’« histoire sacrée », premier modèle de l’oratorio classique, du Romain Giacomo Carissimi* (1605-1674). Dans ses « histoires » (Jephté, Jonas, le Jugement de Salomon, etc.), celui-ci adopte sur le plan littéraire la langue latine et la division en deux parties (il y a trois actes dans l’opéra), et sur le plan musical la forme de la cantate d’église. Un récitant (historicus) narre l’action, interrompu seulement par les airs contemplatifs des solistes, les chœurs et la symphonie. Ce style se répand en Europe par l’intermédiaire des nombreux élèves de Carissimi : italiens (Antonio Cesti [1623-1669], Alessandro Scarlatti*), allemands (Johann Kaspar von Kerll [1627-1693], Johann Philipp Krieger [1649-1725]) et français (M. A. Charpentier*). Mais, dès le milieu du xviie s., la langue vulgaire tend à supplanter le latin. Composé sur des textes didactiques ou moraux, qui paraphrasent les récits de la Bible et des Évangiles ou racontent la vie des saints, l’oratorio volgare se développe avec Giovanni Battista Vitali (v. 1644-1692), Alessandro Stradella (1644-1682), Giovanni Battista Bassani (v. 1657-1716), A. Scarlatti, Antonio Lotti (1666-1740), A. Vivaldi*, etc.

Au début du xviiie s., le genre tombe rapidement sous la coupe de l’école napolitaine. Léonardo Vinci (entre 1690 et 1696-1730), Francesco Feo (1691-1761), Leonardo Leo (1694-1744) et Pergolèse (1710-1736) composent des oratorios dans le même style que leurs œuvres scéniques : le récitatif s’anime et devient un recitativo secco ; l’aria da capo impose sa structure ternaire, tandis que l’orchestre bénéficie des derniers progrès de l’instrumentation. En Allemagne, les cours italianisées (Vienne, Munich) accueillent avec empressement des musiciens de la péninsule, comme Antonio Draghi (1635-1700), Antonio Caldara (1670-1736), Giovanni Battista Bononcini (1670-1747), dont les oratorios ne diffèrent plus de leurs opéras que par l’usage occasionnel des chœurs. L’influence de ces musiciens s’exerce sur leurs collègues autochtones, Johann Joseph Fux (1660-1741), et plus tard Florian Leopold Gassmann (1729-1774), Ignaz Holzbauer (1711-1783), Karl Ditters von Dittersdorf (1739-1799), enfin sur des maîtres comme Haydn et Mozart. Cependant, malgré d’illustres noms, l’oratorio de l’école viennoise ne peut rivaliser avec celui de l’Allemagne du Nord. À Dresde, le Saxon Heinrich Schütz* se sert très tôt du stile recitativo (Histoire de la Résurrection, 1623). Dans ses Symphoniae sacrae (1629, 1647, 1650), ses trois Passions, son Oratorio de Noël (1660-1664), il montre sa connaissance de tous les procédés de l’opéra italien et fait preuve d’un grand sens dramatique au service d’une foi sincère. Il sait enfin faire appel — ce qu’exige l’oratorio — à l’imagination de l’auditeur, privé du support de la scène. Après lui, Johann Klemm (v. 1593 - v. 1657), Matthias Weckmann (1619-1674), Wolfgang Carl Briegel († 1712), Christoph Bernhard (1627-1692) et le Viennois Johann Jacob Löwe (1629-1703) suivent la même voie. D’autres, comme Johann Eramus Kindermann (1616-1655), Andreas Hammerschmidt (1611 ou 1612-1675), Johann Rudolf Ahle (1625-1673), W. Fabricius, Johann Christoph Bach (1642-1703) et Friedrich Wilhelm Zachow (1663-1712), le premier maître de Händel, s’adonnent au « dialogue spirituel ». L’oratorio, simple et populaire avec Carissimi, se germanise ; son style se fait sévère, tandis que chœurs et chorals se multiplient. En même temps, il devient une œuvre d’inspiration mystique. En 1715, Johann Mattheson (1681-1764), musicien d’esprit conservateur, mais expert en art italien, introduit le genre à la cathédrale de Hambourg. Ses modèles devaient inspirer à J.-S. Bach ses chefs-d’œuvre, la Passion selon saint Jean (1723), la Passion selon saint Matthieu (1729), le Magnificat (1723) et l’Oratorio de Noël (1734).