Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

archéomagnétisme (suite)

Faut-il dire que, cette courbe étant établie, des structures archéologiques d’âge inconnu pourraient être datées ? C’est la « datation magnétique », dont on parle beaucoup, alors que son élément principal est encore incomplet. Cependant, il est des époques où, dans nos régions, de bonnes datations sont déjà possibles : de 40 av. J.-C. à 100 par exemple, également de 1500 à nos jours et peut-être pour la période 700 à 1000. Mais il est certain qu’une datation précise restera impossible aux époques où, la courbe revenant sur elle-même, des mêmes couples de valeurs peuvent correspondre à des dates différentes.

La courbe de la figure 1, qui rappelle les trois quarts d’un ovale, a fait penser qu’elle va aller se fermant et qu’elle a été parcourue antérieurement, c’est-à-dire que la direction du champ terrestre aurait une variation cyclique. Cette idée, désastreuse parce que trop simple, est difficile à déraciner. Mais les points archéomagnétiques portés sur la même figure montrent indiscutablement que, durant les deux derniers millénaires, non seulement ils ne sont pas venus s’aligner sur l’ovale, mais qu’ils en sont restés en général très loin. Il faut considérer que l’ovale pernicieux n’est qu’un accident propre aux quatre derniers siècles dans l’ouest de l’Europe. La figure 1 nous donne encore une information précieuse sur l’importance de la divagation de la direction du champ durant les deux derniers millénaires : la déclinaison a varié entre 27° E et 22° W, soit une ampleur de près de 50°, et l’inclinaison a changé de plus de 20° entre 52° et 74°.

L’archéomagnétisme s’est développé récemment à l’étranger, et des résultats sont publiés dans plusieurs pays ; certains sont intéressants dès maintenant, alors que d’autres comportent d’extravagantes et lointaines extrapolations, fondées sur l’idée de variation cyclique. Quelques autres résultats ont été obtenus d’après des coulées volcaniques datées.

Les briques, les tuiles et les poteries portent bien, elles aussi, une aimantation thermorémanente acquise durant leur fabrication ; mais, comme elles ont été déplacées, elles semblent ne rien pouvoir fournir sur la direction du champ. C’est vrai pour la déclinaison, mais non pour l’inclinaison, à condition de disposer d’un nombre important d’objets de même provenance (25 briques par temple, dans le cas des monuments d’Angkor, étudiées à Paris). Les briques ayant été cuites et généralement placées « de chant », si l’on détermine l’inclinaison du moment magnétique de chacune sur la lace « longueur-épaisseur », on obtient (au sens près) l’inclinaison du champ, la cohérence des résultats obtenus avec beaucoup d’objets garantissant l’exactitude de l’hypothèse (pour les tuiles romaines, c’est l’hypothèse de cuisson « debout » qui assure la cohérence). Bien entendu, les objets n’étant pas rigoureusement horizontaux dans les fours, chaque valeur I individuelle est erronée, mais de façon aléatoire, et la moyenne d’un nombre important de valeurs mène à une détermination très correcte de l’inclinaison. En France, des briques de nombreuses constructions historiques (plus faciles à dater que des fours ou foyers) ont été étudiées, de sorte que la série des mesures de I est plus fournie que celle des mesures de D. La courbe de I en fonction du temps de 40 av. J.-C. à nos jours serait à peu près complète sans une lacune qui subsiste entre les ixe et xie s. Cette courbe permet de bonnes datations, avec la seule inclinaison, mais toujours avec des possibilités de répétition à plusieurs siècles de distance. Ainsi, l’inclinaison actuelle de 64° 30′ dans la région parisienne se retrouve vers les époques 1500, 1150, 460, 280, 180 et 60.

Tout ce qui précède était relatif à la direction du champ terrestre passé. Mais son intensité F est aussi une grandeur intéressante, ayant comme les autres éléments sa variation séculaire. On la détermine en cherchant quel est le champ actuel F dans lequel il faudrait refroidir l’objet, préalablement désaimanté par recuit, pour lui faire acquérir un moment nouveau égal à son moment ancien. Mais encore faut-il que le corps refroidi au laboratoire n’ait pas subi de changements minéralogiques depuis sa création et que le recuit nécessaire pour provoquer la nouvelle thermorémanence ne l’ait pas modifié. Une technique élaborée, mise au point en France, a consisté à définir une cascade de contrôles successifs contre ces évolutions. C’est finalement un ensemble assez laborieux et demandant beaucoup de soin dans le choix des matériaux et dans la précision des mesures, de moments en particulier : il faut s’y plier si l’on veut obtenir un résultat significatif. Les premières déterminations ont surpris ; en France, l’intensité du champ terrestre aurait été forte jadis, sa valeur vers 600 av. J.-C. étant presque double de l’actuelle. Ce résultat, plus ou moins confirmé par des mesures ultérieures faites en différents pays, peut être considéré comme mondial. Ces mesures conduisent à penser que la valeur obtenue avant le début de notre ère aurait été un maximum, et certains n’ont pas hésité à parler de variation périodique, avec, d’ailleurs, des « périodes » assez longues différant suivant les auteurs. L’ampleur inattendue de la variation séculaire de l’intensité du champ a entraîné des discussions sur la technique de datation au carbone 14, dont l’un des principes est que le flux cosmique atteignant la Terre est constant, ce qui n’est plus vrai si, à certains moments, elle se trouve mieux protégée par un champ magnétique plus intense, ou inversement. À un autre point de vue, ceux qui ne craignent pas les extrapolations faciles pensent que la décroissance de l’intensité mondiale du champ va continuer jusqu’à annulation (disons dans 2 000 ans), avec toutes sortes de conséquences, d’ailleurs faussement exagérées. Mais rien n’autorise une telle supposition.

Jusqu’ici, l’archéomagnétisme pourrait apparaître comme une science où les géomagnéticiens sont des demandeurs, d’ailleurs exigeants sur l’état des structures et sur leur âge, et les archéologues des fournisseurs. Mais il n’en est rien. D’abord, on l’a vu, la datation magnétique, avec sa précision de détail, reste un espoir réel pour l’archéologie, les indéterminations foncières de plusieurs siècles n’étant en général pas gênantes. Mais, bien plus encore, les aimantations des terres cuites et leur curieuse propriété de mémoire magnétique offrent beaucoup de ressources pour des applications archéologiques variées, la réponse à des problèmes tels que ceux qui suivent étant le plus souvent nette et catégorique :
— détermination de la position d’objets pendant leur cuisson (dans des fours ou par incendie) : vases placés ouverture vers le haut ou vers le bas, ou encore couchés ; briques cuites « de chant », parfois « à plat » ou encore « debout » dans le cas des tuiles romaines ;
— affirmation que des roches (murs ou dallages) ont ou non subi les effets d’un incendie ;
— distinction entre des formations (murs de brique par exemple) construites en terre préalablement cuite ou en terre cuite sur la formation même ;
— détermination de températures de recuit, sans doute l’application la plus surprenante. Une brique d’une construction réchauffée par incendie, une poterie recuite à des températures de quelques centaines de degrés pour faire apparaître des couleurs ont perdu une partie de leur thermorémanence originelle et acquis une nouvelle thermorémanence au cours du refroidissement ayant suivi le recuit. Des chauffes successives par étapes, qui détruisent d’abord la seconde thermorémanence sans altérer la première, permettent de déterminer la température de recuit et, d’ailleurs, de retrouver les directions du champ par rapport à l’objet lors de la cuisson originelle et lors du recuit (fig. 3).