Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

opinion publique (suite)

Un autre problème plus général se pose également. La réponse qu’il est possible de donner immédiatement à une question risque de correspondre à une information superficielle, stéréotypée et dont la relation avec le niveau du latent est faible et indirecte. Ce que nous atteignons alors ne nous permet pas d’atteindre le niveau profond des déterminants réels de l’opinion. C’est la raison pour laquelle, dans un certain nombre de cas, pour explorer le niveau des motivations, le système de valeurs, les attentes et les défenses, on utilise des techniques qualitatives au lieu de techniques quantitatives, comme les sondages d’opinion.

Par exemple, dans un entretien non directif, on ne pose pas une série de questions précises, standardisées et toujours placées dans le même ordre, mais on invite le sujet à explorer lui-même le champ d’un problème défini au début de l’entretien. L’enquêteur se borne à renvoyer à la personne interrogée une image de ce qu’il a dit, en l’aidant à poursuivre son exploration. On peut également utiliser des techniques projectives, où le sujet est invité à interpréter un matériel non structuré. On part ainsi de l’hypothèse que, puisque le matériel est non structuré, l’organisation de la perception sera uniquement le fait de la personnalité dans ses dimensions psychologiques et psychosociales.

Si l’on veut dépasser la connaissance intuitive de l’opinion publique, on devrait être amené à interroger la totalité du public dont on veut connaître l’opinion. D’une certaine façon, c’est ce qui est fait, par exemple, lorsque l’on veut connaître l’opinion du corps électoral sur une proposition de modification de la Constitution (notons que, dans ce cas, il s’agit plus que de connaître l’opinion du corps électoral, puisque le résultat d’un référendum représente une décision). Mais interroger l’intégralité d’un groupe social sur une multitude de problèmes est une opération matériellement impossible, ne serait-ce qu’en fonction de son coût.

C’est pour cela qu’on est amené à n’interroger qu’une partie de ce groupe, en considérant que la fraction interrogée donnera une image fidèle de l’opinion de l’ensemble du groupe. C’est ce que font couramment les journaux, qui posent un certain nombre de questions à leurs lecteurs en leur demandant d’y répondre par lettre. Entre les deux guerres, aux États-Unis, le Literary Digest envoyait près de 20 millions de questionnaires et recevait près de 3 millions de réponses. Malgré ce nombre important de réponses, les résultats obtenus par État s’écartaient en moyenne de 12 p. 100 des résultats ultérieurement observés à l’élection (l’erreur pouvant atteindre près de 40 p. 100). En fait, le groupe des personnes interrogées était établi à partir de listes où étaient particulièrement représentées les couches supérieures de la population (possesseurs de voitures, abonnés au téléphone, etc.) ; de plus, les questionnaires retournés provenaient pour la plus grande part de personnes ayant un niveau économique et culturel supérieur, c’est-à-dire que les réponses données étaient celles d’une fraction non représentative de l’ensemble du corps électoral. À partir de 1935, des instituts de sondage firent des estimations des résultats des élections à partir des réponses d’un échantillon représentatif de la population qui ne comportait que quelques milliers d’interviews ; on put constater que ces estimations ne s’écartaient que de 1 ou 2 p. 100 des résultats réels.

La méthode des sondages repose sur quelques principes : on interroge oralement un petit nombre de personnes, dont l’ensemble constitue statistiquement un échantillon représentatif de la population dont on veut connaître l’opinion.

L’exploitation des sondages d’opinion consiste, dans la plupart des cas, à procéder au décompte général de chaque catégorie de réponses à chacune des questions, et l’on peut dire : « 35 p. 100 des Français pensent que..., 17 p. 100 pensent que..., etc. » On procède également au croisement de ces réponses avec un certain nombre de critères, tels que l’âge, le sexe, la profession, avec des indicateurs politiques, tels que les intentions de vote, ce qui permet de faire des comparaisons entre les différents groupes correspondant à ces catégories. On pourra alors dire : « 80 p. 100 des ouvriers pensent que..., alors que seulement 20 p. 100 des cadres moyens partagent cette opinion. »

Mais on peut approfondir l’analyse en croisant des questions entre elles ; on pourra alors constater que ceux qui ont telle opinion sur un problème sont aussi ceux qui ont telle opinion sur tel autre problème. Mais, au-delà d’un certain nombre de variables mises en relation dans un même tableau, il devient pratiquement impossible d’interpréter la complexité des phénomènes décrits.

Il est donc nécessaire de recourir à des techniques de condensation de l’information et à des techniques mathématiques plus élaborées. L’analyse hiérarchique et l’analyse* factorielle permettent, par des procédures très différentes, de réduire à un petit nombre la multiplicité des variables. Ces techniques permettent également de dépasser le niveau de la simple description pour tenter d’atteindre celui des déterminants des opinions et des comportements.

L’analyse hiérarchique consiste à construire des instruments de mesure des attitudes. On éprouve l’hypothèse qu’entre une série de questions il existe des relations telles que l’on peut estimer que ces questions forment une échelle, c’est-à-dire qu’elles sont les indicateurs de degrés croissants d’une attitude sous-jacente. On pourra ensuite analyser s’il existe des différences d’attitude entre diverses catégories de la population. L’analyse factorielle est une technique d’élaboration des données expérimentales qui permet de rendre compte, par un petit nombre de facteurs, des covariations d’un nombre élevé de variables.

« Elle est propre à fournir tout d’abord une description condensée d’un ensemble d’observations associées. Il ne s’agit pas seulement de faciliter matériellement l’exposé, la présentation d’un ensemble d’observations, mais bien, par cette condensation, de permettre à la pensée d’en saisir l’ensemble dans son unité et d’y attacher une signification » (Maurice Reuchlin).