Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

Ophuls (Max)

De son nom véritable Max Oppenheimer, metteur en scène de théâtre et de cinéma français d’origine allemande (Sarrebruck 1902 - Hambourg 1957).


C’est le théâtre qui a été la première passion de Max Ophuls, lui assurant à l’aube des années 1930 une appréciable renommée dans toute l’Allemagne. Celui qui, en 1926, fut le plus jeune metteur en scène du Burgtheater de Vienne s’orienta avec succès vers un répertoire qui semblait privilégier la comédie et l’opérette. D’abord dans la capitale autrichienne, puis à Francfort, à Breslau, à Berlin et au cours de nombreuses tournées, il porta à son répertoire aussi bien Strauss et Suppé que Shakespeare, Molière, Kleist, Gogol, Pagnol et Marcel Achard, sans oublier Arthur Schnitzler, qui allait devenir l’un de ses auteurs de prédilection. Après avoir rencontré Anatole Litvak (né en 1902) et s’être initié à la technique cinématographique, il va abandonner en 1932 la mise en scène théâtrale pour se consacrer entièrement au septième art.

Son amour du théâtre ne devait jamais, cependant, l’abandonner : toute son œuvre cinématographique en est subtilement imprégnée. En 1957, à la veille de sa mort, alors que l’amertume ressentie devant l’incompréhension générale qui avait accueilli Lola Montes n’est pas encore apaisée, on le voit signer sur une scène de Hambourg une somptueuse mise en scène du Mariage de Figaro de Beaumarchais. La carrière de Max Ophuls, contraint de fuir en 1933 l’Allemagne nazie, se partagera entre plusieurs pays, notamment entre la France et les États-Unis. Si sa première œuvre de valeur, la Fiancée vendue (Die verkaufte Braut, 1932), n’est qu’une habile transposition de l’opéra de Smetana, Liebelei, d’après Schnitzler, qu’il entreprend en 1933, révèle déjà les grandes constantes de son style : au-delà d’une histoire d’amour qui pourrait n’être que superficielle, noyée parmi les clichés du fameux « goût viennois », transparaît déjà la soudaine mélancolie d’un auteur qui consacrera toute son énergie de créateur à la quête du bonheur, une quête passionnée et désespérée, soulignée par les grâces d’une caméra qui semble épouser à la fois les élans du cœur des protagonistes et le scepticisme pudique de l’homme qui se tient derrière le viseur. À Paris, Ophuls dirige la version française de Liebelei, puis une comédie policière, On a volé un homme (1933), avant de réaliser à Rome, pour le compte du producteur italien A. Rizzoli, La Signora di tutti (1934). Ses œuvres suivantes (Divine, 1935 ; la Tendre Ennemie, 1936 ; la Comédie de l’argent [Komedie om Geld], 1936, tournée en Hollande ; Yoshiwara, 1937 ; Werther, 1938 ; Sans lendemain, 1940 ; De Mayerling à Sarajevo, 1940) ne sont pas exemptes de concessions commerciales, mais aucune n’échappe à la griffe faussement romanesque de leur auteur. Après un court séjour en Suisse, où il s’était réfugié lors de l’occupation allemande en France et où il entreprit un essai (inachevé), l’École des femmes, Max Ophuls s’embarque pour les États-Unis. Resté inactif jusqu’à la fin de la guerre, il entreprend en 1946 Vendetta, mais les producteurs ne lui laissent pas les mains libres. Sa première œuvre américaine personnelle est l’Exilé (1947), qui sera suivi de Lettre d’une inconnue (1948), d’après Stefan Zweig, de Caught (1949) et des Désemparés (The Reckless Moment, 1949). De retour en France, Ophuls, en pleine possession de son talent, va tourner quatre films, qui seront sinon des succès commerciaux, du moins des œuvres d’une importance exceptionnelle dans l’histoire du cinéma : la Ronde (1950), d’après Schnitzler ; le Plaisir (1951), d’après trois nouvelles de Maupassant (le Masque, la Maison Tellier, le Modèle) ; Madame de ... (1953), d’après Louise de Vilmorin ; Lola Montes (1955), véritable testament artistique et apothéose d’une carrière qui se heurta souvent à l’incompréhension du public et même parfois à celle de la critique. Lola Montes, superproduction en cinémascope et en couleurs, n’aurait pu être qu’une évocation académique et figée contant l’ascension et la déchéance d’une courtisane. Max Ophuls en fit un opéra baroque d’une richesse technique débordante, dont la poignante cruauté troubla et dérouta le public. Le montage du film fut modifié contre le gré de l’auteur pour atténuer la faillite commerciale de l’entreprise. Dans sa version « ophulsienne », Lola Montes résume avec une puissance rarement égalée ce contraste douloureux entre le monde de l’apparence et la détresse intérieure, qui a toujours hanté le cinéaste. Comme le dit avec justesse Henri Agel : « Il arrive à Ophuls ce qui est arrivé à Mozart et pour des raisons analogues. La grâce et la virtuosité d’une écriture merveilleusement souple, élégante, raffinée ont empêché des spectateurs superficiels — et qui projetaient précisément cette « superficialité » sur l’objet de leur réflexion — de voir que l’élégance était ici le voile de la pudeur, le raffinement une ruse de la sensibilité, la souplesse le sens de la vie. » Les héroïnes d’Ophuls — c’est un étonnant directeur d’actrices — sont toutes prises au piège d’un bonheur idéal qui fuit et s’assombrit à mesure qu’elles croient enfin l’atteindre.

Apparemment futile et gai, l’univers d’Ophuls est au fond pessimiste et tragiquement lucide. Mais cette profonde mélancolie refuse tout recours au misérabilisme : bien au contraire, elle emprunte les chemins de l’allégresse et s’attarde à caresser les splendeurs du décor. C’est à la retombée de l’entrechat que l’on sent par un subtil mouvement de caméra la lassitude du danseur.

J.-L. P.

 Max Ophuls, numéro spécial des Cahiers du cinéma (1958). / R. Roud, Index des œuvres de Max Ophuls (British Film Institute, 1958). / G. Annenkov, Max Ophuls (le Terrain vague, 1962). / C. Beylie, Max Ophuls (Seghers, 1964).