Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

opéra (suite)

L’influence italienne s’exerce peu au xviie s. sur le théâtre musical espagnol. La zarzuela, de caractère spécifiquement national, est rarement chantée d’un bout à l’autre et s’accompagne d’une somptueuse mise en scène. Au xviiie s., son style devient plus populaire. On représente aussi des opéras italiens que l’on convertit en zarzuelas en substituant au recitativo secco des textes déclamés.

Au xixe s., le cadre de l’opera seria s’élargit ; son style, où coexistent des éléments italiens, allemands et français, s’internationalise. En même temps, Paris devient la capitale du « grand opéra ». L’Allemand Giacomo Meyerbeer (1791-1864), les Italiens L. Cherubini*, G. Rossini*, Gaspare Spontini (1774-1851), Vincenzo Bellini (1801-1835) et Gaetano Donizetti (1797-1848) viennent y chercher la consécration, à côté des Français Halévy (1799-1862) et Félicien David (1810-1876). En Allemagne, l’avènement du romantisme suscite des œuvres dramatiques originales, qui, délaissant les vieilles formules épuisées, font appel au sentiment national, à celui de la nature, à l’art populaire et au fantastique. Après le Freischütz (1821), singspiel que l’on considère comme l’œuvre la plus représentative du romantisme allemand, C. M. von Weber*, avec son unique opéra, Euryanthe (1823), conçu sans interruption, préfigure, grâce à sa structure générale et à son utilisation des timbres de l’orchestre, le drame musical wagnérien. Parmi les contemporains de Weber, citons aussi Louis Spohr (1784-1859), auteur d’un Faust (1816), E. T. A. Hoffmann*, dont la féerique Ondine (1816) évoque les forces mystérieuses de la nature, Heinrich Marschner (1795-1861) et Peter Cornelius (1824-1874). F. Schubert*, F. Mendelssohn* et R. Schumann* écrivent aussi des opéras, mais la postérité ne les retiendra pas ; leur lyrisme est trop intime pour mettre en valeur une action dramatique.

En France, le romantisme théâtral n’est réellement représenté que par L. H. Berlioz*. Benvenuto Cellini (1838) et les Troyens (1855-1858), qui rompent avec l’opéra traditionnel et les habitudes du public, sont accueillis froidement, malgré leur puissance de suggestion. Quant à la Damnation de Faust (1846), bien que sous-titrée « Légende dramatique », elle n’est pas destinée à la scène.

Dans la seconde moitié du xixe s., deux musiciens marquent l’art lyrique de leurs personnalités. R. Wagner*, novateur hardi, veut aussi réformer l’opéra allemand. Son esthétique s’oriente vers un théâtre total, d’une « forme idéale et purement humaine », ce qui l’incite à délaisser les formes conventionnelles de l’opéra et les sujets historiques, et à s’exprimer à travers le mythe d’inspiration populaire. Pour réaliser parfaitement l’unité du drame, Wagner écrit lui-même ses livrets. Sur le plan musical, comme jadis Monteverdi et plus tard Gluck, mais avec des moyens plus puissants, il rapproche le chant de la parole chantée (Tristan und Isolde, 1865 ; Der Ring des Nibelungen, 1876), de telle manière que la déclamation (le Sprechsingen) oscille entre le récitatif et l’air sans jamais donner l’impression d’une rupture entre ces deux formes. L’accompagnement devient un riche tissu symphonique d’une ampleur encore jamais atteinte. Il forme avec le chant un ensemble qu’il domine parfois et qui se nourrit de leitmotive, thèmes générateurs variant avec une infinie souplesse selon les situations dramatiques. De son côté, G. Verdi*, contemporain de Wagner, donne à l’opéra italien un nouvel éclat ; de Rigoletto (1851) à Falstaff (1893), son art, d’abord national, se fait plus généralement expansif sous l’impulsion de son émule allemand. Verdi modifie son idéal dramatique et, dans Aïda (1871), s’attache davantage à la psychologie des personnages, à l’atmosphère ambiante et à l’intensité lyrique du drame.

En France, la distinction entre opéra et opéra-comique tend à s’effacer : l’un insère parfois des épisodes parlés, tandis que l’autre les supprime. Les compositeurs, en réaction contre les débordements lyriques du romantisme, reviennent à un art néo-classique, sobre et mesuré avec C. Gounod*, dont le Faust (1859) est resté au répertoire, C. Saint-Saëns*, G. Bizet*, E. Chabrier*, E. Lalo* et J. Massenet*. Alfred Bruneau (1857-1934) et Gustave Charpentier (1860-1956), sensibles à l’influence de Wagner, composent des drames naturalistes, tandis que V. d’Indy*, disciple de C. Franck*, préfère les légendes symbolistes, de même que ses émules de la Schola cantorum, Albéric Magnard (1865-1914), Ernest Chausson (1855-1899), Pierre de Bréville (1861-1949), Guy Ropartz (1864-1955) et Charles Bordes (1863-1909).

Mais le romantisme avait éveillé l’esprit national de tous les peuples. Après 1850, de nouvelles écoles surgissent en Europe, qui affirment leur personnalité et leur esprit d’indépendance en s’inspirant de leur folklore. En Bohême, B. Smetana* chante dans ses opéras (la Fiancée vendue, 1866 ; Dalibor, 1868) la vie de son peuple, sa lutte contre la domination étrangère et la foi dans le destin de la nation. Après lui, L. Janáček* rompt avec la tradition classique et s’impose par son dynamisme, un style vocal très personnel et un langage étonnamment moderne (Jenufa, 1894-1903). En Russie, où l’opéra italien a régné en maître, l’opéra de Mikhaïl Ivanovitch Glinka (1804-1857) la Vie pour le tsar (1836) et surtout celui de Aleksandr Sergueïevitch Dargomyjski (1813-1869) le Convive de pierre (1872) ouvrent à la musique dramatique des voies nouvelles, dans la recherche de la vérité et du réalisme. Le Convive a une forme tout à fait libre, qui suit le déroulement de l’action et abandonne le découpage en numéros de l’opéra traditionnel. Lorsque, vers 1860, se constitue le « groupe des Cinq* », qui réunit Mili Balakirev (1837-1910), César Cui (1835-1918), A. P. Borodine*, N. A. Rimski-Korsakov* et M. P. Moussorgski*, tous, sauf le premier, s’intéressent au théâtre. Dans Boris Godounov (1874), Moussorgski allie à la souplesse de la forme le réalisme de son récitatif, sensible à la moindre inflexion psychologique, à la grandeur tragique comme à l’intense expression de la vie populaire. P. Tchaïkovski*, son contemporain, influencé par la musique occidentale, a laissé deux opéras qui révèlent un autre aspect de l’âme slave.

En Espagne, après une tentative de rénovation de l’opéra se fondant sur le chant italien, un art national d’inspiration populaire et rebelle aux influences étrangères, dont Felipe Pedrell (1841-1922) est l’animateur, s’instaure avec Tomás Bretón (1850-1923), Ruperto Chapí (1851-1909), I. Albéniz* et E. Granados*.