Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

opéra (suite)

En France, au début du xviie s., le ballet* de cour, qui contient pourtant les facteurs premiers de l’opéra, demeure la seule forme de musique dramatique. L’influence italienne a d’abord peu de prise sur les musiciens et ne s’affirme qu’au temps de Mazarin, qui révèle aux Français, entre 1643 et 1660, l’art nouveau de Rossi et de Cavalli. En 1669 l’Académie royale de musique (l’actuel théâtre de l’Opéra) est fondée avec l’autorisation de Louis XIV, et Pierre Perrin et Robert Cambert l’inaugurent avec une pastorale, Pomone (1671). Mais J.-B. Lully* profite de la discorde qui sévit au théâtre pour s’emparer du privilège. Maître absolu jusqu’à sa mort, il y crée, avec la collaboration de Philippe Quinault (1635-1688), la forme originale de l’opéra français : la tragédie lyrique, inspirée de la tragédie classique. Après avoir définitivement fixé la forme de l’ouverture à la française, esquissée dans le ballet de cour, il adapte le récitatif de Monteverdi à la prosodie, emprunte les formes vocales de la chanson, de l’air de cour et de l’air sérieux, et insère de nombreuses danses, fort goûtées de son auditoire, dans l’action chantée. De Cadmus et Hermione (1673) à Armide (1686), Lully avait cristallisé la structure musicale de la tragédie. Si, après sa mort, des tendances italianisantes apparaissent chez ses successeurs, notamment chez A. Campra*, qui non seulement enrichit le genre (Tancrède, 1702), mais en crée un autre, l’opéra-ballet*, François Collin de Blamont (1690-1760), André Cardinal Destouches (1672-1749), Jean Joseph Mouret (1682-1738), Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737), François Francœur (1698-1787) et François Rebel (1701-1775) suivent dans l’ensemble la voie que Lully a tracée.

Mais c’est J.-Ph. Rameau* qui, au xviiie s., domine tous ses contemporains. Sans rompre avec la tradition lullyste dans ses tragédies lyriques (Hippolyte et Aricie, 1733 ; Castor et Pollux, 1737 ; Dardanus, 1739 ; Zoroastre, 1749 ; Abaris ou les Boréades, 1764) et ses pastorales héroïques (Zaïs, 1748 ; Naïs, 1749 ; Acante et Céphise, 1751), il souligne d’une plus riche harmonie l’état d’âme de ses personnages et donne à l’orchestre un rôle plus important. Il accorde toutefois au texte moins d’intérêt que Lully, et la musique, chez lui, tend à prédominer. Il est vrai que la nature du sujet n’a pas encore préoccupé beaucoup les musiciens et que la forme prime le fond. D’où l’absence d’unité véritable dans la succession assez arbitraire des divers morceaux qui composent l’opéra. D’où aussi, la nécessité d’une réforme.

C. W. Gluck* a déjà écrit plus de vingt-cinq opéras italiens lorsque, pénétré des idées exprimées par J.-J. Rousseau et les encyclopédistes, qui prônent le retour à un style sobre et naturel, il entreprend avec son librettiste R. de’Calzabigi (1714-1795), hostile au mauvais goût des « virtuosi », de revenir dans l’opéra à la simplicité de la tragédie antique. Orfeo ed Euridice (1762), Alceste (1767) et Paride ed Elena (1770) sont les premières étapes de cette évolution, qui trouve son aboutissement dans ses œuvres françaises : Iphigénie en Aulide (1774), Orphée et Eurydice (1774), Alceste (1776), Armide (1777) et Iphigénie en Tauride (1779), où la rupture avec le passé est définitive. Gluck s’y efforce « de restreindre la musique à son véritable office, qui est de servir la poésie par l’expression et les situations de la fable, sans interrompre l’action ou la refroidir avec des ornements inutiles » (préface d’Alceste). Vers la même époque en France, F. A. Philidor*, Grétry*, Étienne Méhul (1763-1817) et J. F. Le Sueur*, auteurs d’opéras-comiques, abordent aussi l’opéra.

Au début du xviie s., tandis que la France résiste encore à l’influence italienne, l’Allemagne adopte très tôt le nouveau style représentatif. Dès 1627, H. Schütz*, ancien élève de Giovanni Gabrieli* à Venise, compose le premier opéra en langue allemande, Dafne, sur le poème d’Ottavio Rinuccini, traduit par Martin Opitz. Après la guerre de Trente Ans, qui a rendu vain ce premier essai, les ultramontains envahissent le pays. Tandis que Vienne, Munich et Dresde accueillent Antonio Cesti (1623-1669), Antonio Bertali (1605-1669), Antonio Draghi (1635-1700), Agostino Steffani (1654-1728) et Giovanni Andrea Bontempi (1624-1705), l’opéra allemand se développe à Hambourg de 1678 à 1738 avec Johann Theile (1646-1724), élève de Schütz, Johann Wolfgang Franck (1644 - v. 1710), Nicolaus Adam Strungk (1640-1700), Johann Siegmund Cousser (ou Kusser [1660-1727]) et surtout R. Keiser* ; mais, bien que les livrets soient en langue allemande, il est trop influencé par les Français (Lully) et les Italiens (A. Steffani) pour prétendre à un caractère vraiment national. Dans la première moitié du xviiie s., Johann Mattheson (1681-1764) et G. P. Telemann* restent fidèles à la tradition de Hambourg, tandis que Händel*, Johann Joseph Fux (1660-1741), Johann Adolf Hasse (1699-1783), élève de A. Scarlatti, et Karl Heinrich Graun (1704-1759), soumis à l’influence grandissante de l’opéra napolitain, contribuent à créer dans leur pays de nombreux foyers d’italianisme. Après 1740, les premiers opéras de Gluck et, plus tard, ceux de F. J. Haydn* et de W. A. Mozart* se conforment souvent à la manière italienne. Ce sont cependant Mozart, à qui l’on doit deux chefs-d’œuvre en langue allemande (Die Entführung aus dem Serail [l’Enlèvement au sérail], 1782 ; Die Zauberflöte [la Flûte enchantée], 1791), et L. van Beethoven*, l’auteur de Fidelio (1805), que l’on considère généralement (bien que leurs œuvres s’apparentent au singspiel) comme les véritables fondateurs de l’opéra allemand.

En Angleterre, au début du xviie s., le masque, divertissement qui ressemble au ballet de cour, est la seule forme de musique dramatique. Nicolas Lanier (1588-1666) passe pour avoir introduit le premier, après son séjour en Italie (1625-1627), le stile recitativo. Mais ce n’est qu’après la victoire des puritains, qui interdisent le théâtre parlé, que les musiciens s’intéressent au théâtre chanté. Après les tentatives de William Davenant (1606-1668) et de Matthew Locke (v. 1630-1677), dont le style reste proche de celui des masques, l’opéra anglais se développe sous la Restauration. En 1673, Cambert, qui s’est établi à Londres, fait entendre Pomone. Charles II, d’autre part, fait appel à des troupes italiennes. Seul H. Purcell* échappe à cette double influence. Dans ses partitions (comédies ou tragédies), la musique n’est pas constamment présente. Il a laissé un unique opéra, chanté d’un bout à l’autre, Dido and Aeneas (1689), et d’autres pièces où la partie musicale est très importante (King Arthur, 1691 ; The Fairy Queen, 1692). Après lui, l’opéra italien règne en maître avec Händel, Giovanni Battista Bononcini, Nicola Antonio Porpora et Baldassarre Galuppi.