Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Omeyyades (suite)

Cependant, l’Empire comporte certains points faibles qui peuvent, en se conjuguant, le mettre en péril. Le principal danger provient des ‘Alides, qui, en 681, fomentent en Iraq — la province la plus turbulente de l’Orient — un mouvement, qui se solde par un échec. En 683, Mu‘āwiyya II succède à Yazīd. Mais son règne ne dure que six mois. À sa mort, le pouvoir des Omeyyades est de nouveau contesté. Une guerre civile éclate en Syrie entre les tribus arabes. Ce conflit se termine par la victoire des Omeyyades à la bataille de Mardj Rāḥit en 684. Marwān (684-85), membre d’une autre branche des Omeyyades, est proclamé calife. Avant sa mort, il réussit à désigner, pour lui succéder, son fils ‘Abd al-Malik (685-705). Celui-ci parvient à restaurer l’unité de l’Empire et l’autorité du gouvernement.


Les assises sociales du régime omeyyade

L’Empire reste dominé par des Arabes constitués en caste sociale héréditaire. Cette aristocratie jouit de privilèges exorbitants. Elle ne paie pas d’impôt foncier, mais seulement une dîme religieuse personnelle. Elle constitue la majorité des guerriers et reçoit, outre les pensions mensuelles et annuelles, de nombreuses indemnités, provenant du butin des conquêtes. Au surplus, elle continue à acquérir des terres par achat à des propriétaires non arabes ou par concession reçue du gouvernement. Les immenses domaines hérités des Perses et des Byzantins lui sont concédés par les califes sous forme de qaṭā‘ī, ou fermages. Les fermiers sont tenus de cultiver la terre pendant une certaine période et de percevoir les impôts pour le compte du gouvernement. Les qaṭā‘ī ne tardent pas à se transformer en propriétés privées, qu’on peut acheter et revendre. Les propriétaires ne résident pas dans leurs domaines, dont ils confient l’exploitation à des fermiers autochtones ou à de la main-d’œuvre semi-servile.


Les mawālī ou musulmans non arabes

Cette aristocratie arabe constitue, dans les provinces conquises, une minorité de privilégiés, répartis en soldats, en fonctionnaires et en colons. Elle ne tarde pas à soulever le mécontentement de la population, et particulièrement celui de la classe des mawālī, c’est-à-dire des musulmans non arabes et aussi des Arabes qui n’appartiennent pas à la caste dirigeante. Tenus pour inférieurs par elle, les mawālī partent du principe selon lequel tous les musulmans sont égaux pour exiger l’égalité dans le domaine économique et social. Il va sans dire que pareille égalité entraîne une diminution des revenus de l’État et une augmentation de ses dépenses. Autrement dit, elle touche directement aux intérêts de l’aristocratie arabe. Aussi, loin de répondre à cette revendication, ‘Abd al-Malik adopte-t-il à l’égard des mawālī une attitude hostile, qui consiste à réduire leur pression en les chassant des villes vers les campagnes. Bien plus, pour éviter une diminution des revenus du Trésor, il décourage la conversion à l’islām des dhimmīs, c’est-à-dire des adeptes des religions tolérées par l’État contre paiement d’un impôt plus élevé. En dépit de cette mesure, le nombre des mawālī augmente considérablement. Dans les villes, ces derniers s’imposent par l’importance qu’ils jouent dans la vie économique comme ouvriers, boutiquiers, artisans et marchands au service de l’aristocratie. Leur hostilité à l’égard de la caste dirigeante n’est pas d’ordre racial ou national. Elle relève plutôt de considérations économiques et sociales. C’est ainsi que les Arabes pauvres d’Iraq et de Bahreïn se confondent avec les mawālī et que beaucoup de membres de la vieille noblesse terrienne de l’Iran* s’accommodent du régime omeyyade, considéré par eux comme tolérable.

Les mawālī ne tardent pas à trouver à leur mécontentement une expression religieuse. À une époque où l’islām orthodoxe constitue l’idéologie officielle du régime, ils marquent leur opposition aux Omeyyades en adhérant au chī‘isme, mouvement qui soutient les prétentions au califat des descendants de ‘Alī.

C’est sous la bannière du chī‘isme que les mawālī se révoltent en 685. La révolte est écrasée dans le sang en 687, mais le mouvement reste vivace en Iran et en Iraq ; recrutant ses adeptes essentiellement dans les milieux pauvres, il constitue un élément de troubles et de difficultés pour les Omeyyades.


Les Omeyyades et les tribus arabes

Les Omeyyades ne peuvent pas compter, pour affronter ce danger, sur l’appui unanime des tribus arabes. Bien au contraire, le sens tribal d’indépendance demeure vivace parmi les nomades et contribue à miner l’autorité de la dynastie. Le khāridjisme est l’expression religieuse de l’insubordination des nomades. Les adeptes de ce mouvement ne reconnaissent pas d’autre autorité que celle d’un calife de leur choix, qui doit être le meilleur et le plus pieux des musulmans. À la mort de Yazīd, en 683, ils fomentent en Iraq une révolte, qui se solde par un échec. Mais ce ne sont pas les mouvements chī‘ite et khāridjite qui inquiètent le plus le régime omeyyade. La faiblesse de celui-ci réside essentiellement dans les dissensions entre tribus arabes, restées, comme avant l’islām, divisées en deux grands groupes antagonistes : celui du Nord et celui du Sud. Cette division traditionnelle se double d’un conflit d’intérêts opposant les Arabes du Sud, infiltrés avant les conquêtes en Syrie et en Iraq, aux Arabes du Nord, venus avec les armées de l’islām.

Les Omeyyades jouent d’abord un rôle d’arbitres entre les tribus. Mais, en 683, ils sortent de leur neutralité pour combattre avec l’aide d’une tribu du Sud, celle des Kalb, l’une des principales tribus du Nord, celle des Qays, qui refuse de reconnaître le successeur de Yazīd. Depuis, ils s’appuient, selon la situation, sur l’un ou l’autre clan, faisant ainsi du califat un parti associé à un conflit tribal.


Les réformes administratives sous ‘Abd al-Malik

Le calife ‘Abd al-Malik parvient à s’imposer à toutes les tribus. Il consolide son autorité en procédant à une plus grande centralisation. Il substitue aux anciens systèmes administratifs byzantins et persans un nouveau système impérial, dont la langue officielle devient l’arabe. En 696, il institue une monnaie arabe, qui vient remplacer les monnaies de types byzantin et persan. À sa mort, en 705, l’Empire musulman paraît paisible et puissant, mais les principaux problèmes ne sont pas pour autant résolus.